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Le mariage entre beau-père et belle-fille dans tous ses états !

Publié par Claudia CANINI le 05/12/2013 - Dans le thème :

Procédures en Justice

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Par un arrêt rendu le 4 décembre 2013, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation décide que le prononcé de la nullité du mariage d’un beau-père avec sa belle-fille, divorcée d’avec son fils, revêt à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de 22 ans[1].

L'article 12 de la CEDH pose le principe du droit au mariage.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme rappelle que l'exercice du droit au mariage obéit aux lois nationales des États mais que “les limitations en résultant ne peuvent le restreindre ou réduire d'une manière ou à un degré qui l'atteindraient dans sa substance même”.

Le droit français instaure certaines prohibitions à mariage fondées sur des considérations de moralité sociale :

- existence d’un mariage antérieur non dissous ;

- existence d'un lien étroit de parenté ou d'alliance.

1) Que signifie le principe de prohibition du mariage entre alliés ?

En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne (C. civil, art. 161).

En application de ce texte, serait ainsi prohibé le mariage entre beau-père et bru, ou entre belle-mère et gendre, sans que l'on ait à distinguer selon que l'ascendant est légitime ou naturel.

Le serait pareillement le mariage entre parâtre et belle-fille ou marâtre et beau-fils (jurisprudence estimant qu'un ex-mari ne pouvait épouser la fille naturelle de son ancienne femme, V. T. civ. Seine, 7 févr. 1850 : DP 1850, 3, p. 15. – CA Paris, 18 mars 1850 : DP 1851, 2, p. 30).

2) Ces prohibitions à mariage ont-elles encore un avenir ?

Deux décisions importantes nous permettraient d’en douter.

a) Un arrêt remarqué de la CEDH dans une affaire où était en cause la législation anglaise prohibant, comme le Code civil français, le mariage entre alliés en ligne directe (CEDH, 13 sept. 2005, n° 36536/02, B. L. c/ Royaume Uni).

La CEDH a jugé que l’empêchement à mariage existant entre un beau-père et sa belle-fille (épouse divorcée de son fils), bien que poursuivant le but légitime de la protection de l’intégrité de la famille, constitue une atteinte excessive au droit au mariage consacré par l’article 12 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

b) L’arrêt de la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation du 4 décembre 2013

«Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... et M. Claude Y... se sont mariés le 6 septembre 1969 et qu’une fille, née le 15 août 1973, est issue de leur union ; qu’après leur divorce, prononcé le 7 octobre 1980, Mme X... a épousé le père de son ex-mari, Raymond Y..., le 17 septembre 1983 ; qu’après avoir consenti à sa petite fille une donation le 31 octobre 1990, ce dernier est décédé le 24 mars 2005 en laissant pour lui succéder son fils unique et en l’état d’un testament instituant son épouse légataire universelle ; qu’en 2006, M. Claude Y... a, sur le fondement de l’article 161 du code civil, assigné Mme X... en annulation du mariage contracté avec Raymond Y... ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé qu’ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même du droit, retient :

- que la prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé l’alliance est dissoute par divorce,

- que l’empêchement à mariage entre un beau père et sa bru qui, aux termes de l’article 164 du même code, peut être levé par le Président de la République en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du cercle familial,

-  que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux,

- que, contrairement à ce que soutient Mme X..., il ressort des conclusions de sa fille que le mariage célébré le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable confusion entre son père et son grand père,

- que l’article 187 dudit code interdit l’action en nullité aux parents collatéraux et aux enfants nés d’un autre mariage non pas après le décès de l’un des époux, mais du vivant des deux époux,

- qu’enfin, la présence d’un conjoint survivant, même si l’union a été contractée sous le régime de la séparation de biens, entraîne nécessairement pour M. Claude Y..., unique enfant et héritier réservataire de Raymond Y..., des conséquences préjudiciables quant à ses droits successoraux, la donation consentie à Mme Fleur Y... et la qualité de Mme Denise X... en vertu du testament du défunt étant sans incidence sur cette situation, de sorte que M. Claude Y... a un intérêt né et actuel à agir en nullité du mariage contracté par son père ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y... avec Mme Denise X... revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition prononçant l’annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y... et Mme Denise X..., ainsi qu’en sa disposition allouant une somme à M. Claude Y...

Déboute M. Claude Y... de sa demande en annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y... et Mme Denise X...".

3) Comment interpréter la décision du 4 décembre 2013 ?

Le fils de l’époux avait introduit l’action en nullité du mariage, 22 ans après sa célébration, après le décès de son père, lequel avait institué son épouse légataire universelle.

Celle-ci avait invoqué, pour s’y opposer, une atteinte à la substance du droit au mariage garanti par l’article 12 de la CDEH.

Les juges du fond avaient accueilli la demande de nullité en considérant que l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru, prévu par l’article 161 du code civil, était justifié en ce qu’il répondait à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille et qu’en l’espèce, la présence d’un conjoint survivant entraînait nécessairement des conséquences successorales préjudiciables à cet unique héritier qui, dès lors, justifiait d’un intérêt à l’annulation.

C’est finalement en considérant de l’ancienneté du mariage (22 ans) et duprincipe du droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH, art. 8) que la Cour de Cassation a jugé que les constatations des juges du fond étaient suffisantes pour rejeter la demande d’annulation de ce mariage.

En raison de son fondement, la portée de cette décision est limitée au cas particulier examiné.

Le principe de la prohibition du mariage entre alliés n’est pas remis en question[2].

Par Claudia CANINI

Avocat à la Cour

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[1] Cass. Civ 1ère 4 décembre 2013 (12-26.066)

[2] Communiqué relatif à l’arrêt n° 1389 du 4 décembre 2013 (12-26.066) de la première chambre civile


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