
Depuis plusieurs mois déjà , le
marché de la cigarette électronique est en pleine expansion. Chamboulant le commerce
traditionnel du tabac et provoquant la gronde des buralistes, il apparait que
la cigarette électronique est toujours considérée aujourd'hui comme un produit
de consommation ordinaire.
Véritable sujet de société, elle
a déjà séduit 1,5 million de consommateurs. Le marché est estimé à des
centaines de millions d'euros. Pour certains, c'est une alternative sérieuse au
tabac, qui permet au fumeur d'absorber sa dose régulière de nicotine sans les
inconvénients d'odeur, de monoxyde de carbone et autres essences.
Mais alors que la mode prenait de
l'ampleur, la cigarette électronique n'a pas tardé à s'infiltrer sur le lieu de
travail des français. Ces derniers mois, les habitudes ont changé et il n'était
pas rare de trouver dans les quotidiens un ou plusieurs articles prenant Ã
témoin les salariés, qui avaient troqué leur "pause clope" pour
rester devant leur écran en vapotant de temps en temps.
Mais que peut faire un employeur
qui estimerait que cette pratique, dont aucune étude suffisante ne permet d'en
connaître les effets sur le long terme, devrait être interdite au sein de son
entreprise ?
Face a une réglementation encore
inexistante, on est ainsi en droit de se poser la question : l'employeur peut il s'opposer à ce que ses
salariés vapotent au bureau ?
L'Institut National de Recherche
et de Sécurité publiait une note en mars 2013 "QR75 : Cigarette électronique peut-on l'utiliser dans un bureau ?"
dans laquelle il mettait en avant les études des différents composés de la
cigarette électronique et les expérimentations pratiquées. Les conclusions scientifiques
n'étant pas encore suffisantes, celles de l'INRS portent plus sur les
possibilités offertes aux employeurs pour l'interdire sur le lieu de travail.
En effet, le Code du travail impose
à l'employeur une obligation de sécurité vis à vis de ses salariés, il doit "prendre
les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique
et mentale des travailleurs" (article L 4121-1 du Code du travail). La
Cour de cassation en 2002 avait érigé ce devoir en obligation de sécurité de
résultat.
Ainsi, l'INRS préconise d'évaluer
les risques relatifs à l'utilisation de la cigarette électronique, et d'assurer
la protection de ses salariés eu égard à un produit dont les effets sont encore
trop méconnus. L'interdiction pourrait être établie par la voie du règlement
intérieur et donc à la seule décision de l'employeur.
Le Code du travail impose la mise
en place d'un règlement intérieur lorsque le nombre de salarié dépasse 20, en
dessous, c'est une simple faculté. Mais c'est donc, en l'état actuel, sur la prévention du risque découlant de
l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur (article L 4121-2 et
suivants du Code du travail), que l'interdiction de « vapoter »
sur le lieu de travail pourrait s'appuyer.
Néanmoins, on peut être sûr que
cette possibilité ne durera pas en l'état, la réglementation fait défaut et la
justice ne manque pas d'être saisie pour donner son point de vue.
Il existe, certes, une
interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment
scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements
expressément réservés aux fumeurs (article L 3511-7 du Code de la santé
publique) mais cette disposition ne concerne que l'action de "fumer"
et non de "vapoter", telle est l'argumentation des partisans de la cigarette
électronique. Fumer n'étant pas vapoter, l'interdiction ne serait donc pas
applicable.
Il aura fallu cependant peu de
temps avant que la question de ce qu'est la cigarette électronique -produit du
tabac ou non- n'arrive devant les tribunaux.
Sous couvert d'une action en
concurrence déloyale, le Tribunal de commerce de Toulouse a rendu un jugement intéressant
le 9 décembre 2013. Dans cette affaire, le demandeur (un buraliste) demandait
au tribunal de condamner un revendeur de cigarettes électroniques parce que
celui-ci vendait notamment des produits "en violation de la loi sur le
monopole du tabac" faisant ainsi acte de concurrence déloyale à son
encontre. Il faut savoir que les bureaux de tabac sont soumis à de lourdes
obligations, notamment au regard de la collecte de l'impôt pour le compte de
l'Etat.
Le tribunal, statuant à la
demande des parties sur la qualification de la cigarette électronique, retient
que la cigarette électronique "est naturellement" concernée par
l'article L 3511-1 du Code de la santé publique qui dispose que "sont
considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés,
mâchés ou sucés, dès lors qu'ils sont, même partiellement, constitués de tabac,
ainsi que les produits destinés à être fumés même s'ils ne contiennent pas de
tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage
médicamenteux". Ainsi, la e-cigarette se doit de faire partie des produits
du tabac relevant du monopole d'Etat, et le défendeur s'est vu condamné.
Une procédure d'appel est
toutefois en cours, si grâce n'est pas faite au revendeur, il est fort à parier
que l'affaire ira jusqu'en Cassation.
Quant au gouvernement, la
Ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'est dite favorable à généraliser
l'interdiction de la cigarette électronique, à la manière du tabac, dans les
lieux publics. Un texte législatif dans ce sens marquerait la fin du doute
entourant le vapotage, et l'interdiction de vapoter dans les salles de réunions
et entre collègues de bureau, il serait présenté à l'automne 2014.
En l’espèce, l'Association des
Grippés de France en Hiver se réjouit que les fumeurs reprennent le chemin des
entrées d'immeubles.
Amaury CANTAIS