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l'usage d'entreprise s'impose à l'employeur tant qu'il ne l'a pas régulièrement dénoncé

Publié par Jean-pierre DA ROS le 27/08/2010 | Lu 6467 fois | 0 réaction

A la base de la hiérarchie des normes, l'usage en entreprise, plus favorable que la convention collective ou le code du travail, s'impose à l'employeur qui est tenu de l'appliquer tant qu'il ne l'a pas régulièrement dénoncé.

Quels sont les critères de l'usage en entreprise ?

L'usage correspond à une pratique habituellement suivie dans l'entreprise et prend la forme d'un avantage supplémentaire accordé aux salariés ou à une catégorie d'entre eux par rapport à la loi, la convention collective ou le contrat. Cet avantage n'est pas nécessairement direct. Ainsi, le fait de travailler un samedi sur deux depuis des années constitue un usage.

Les avantages issus d'usages peuvent être très variés : congés, primes, rythme de travail, heures de délégation supplémentaires, temps de pause, prise en charge par l'employeur des cotisations salariales, etc.

L'usage peut consister en l'application volontaire d'une convention collective. Ainsi, une entreprise peut être tenue d'appliquer une convention collective qui, légalement, ne lui est pas opposable lorsqu'elle s'y est constamment référée pour régler la situation de son personnel.

L'application volontaire par l'employeur peut ne porter que sur certaines dispositions de la convention collective relatives, par exemple, au calcul de l'indemnité de licenciement ou encore à une prime d'ancienneté.

Remarques

Certaines pratiques ou avantages ne peuvent être institués par un usage. Ainsi, une convention de forfait ne peut résulter d'un usage d'entreprise ; un accord des parties est nécessaire. De même, la Cour de cassation considère « qu'une période d'essai ne peut résulter que du contrat de travail ou de la convention collective, et ne peut être instituée par un usage ». L'usage peut donc seulement aménager les modalités de l'essai (durée, renouvellement, etc.) lorsque son existence est déjà envisagée dans le contrat ou la convention collective.

Enfin, si le nombre de délégués du personnel, tel qu'il est fixé par la loi, peut être augmenté par un accord collectif, la Cour de cassation considère que ni un usage d'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales sur les délégués du personnel. De même, à défaut d'accord collectif prévoyant la possibilité de désigner comme délégué syndical un salarié dépourvu de la qualité de délégué du personnel, une telle désignation n'est pas possible en application d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur.

Pour qu'une pratique d'entreprise acquière la valeur contraignante d'un usage, dont les salariés pourront se prévaloir, certaines conditions définies par la jurisprudence doivent être remplies. Il est en effet nécessaire que la pratique soit constante, générale et fixe. La constance, la généralité et la fixité de la pratique doivent permettre d'établir la volonté non équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer un avantage. Ces trois conditions sont cumulatives et si l'une d'entre elles fait défaut, il ne sera pas possible de présumer que l'employeur ait souhaité accorder, en pleine connaissance de cause, un droit supplémentaire aux salariés par rapport à la loi, au statut collectif ou au contrat individuel de travail.

Ainsi, le versement à un salarié d'une prime en son intégralité pour une année, puis pour moitié l'année suivante et le versement d'une telle prime à un autre salarié de l'entreprise pour une année, ne sont pas de nature à caractériser la constance et la généralité de ladite prime et, en conséquence, l'existence d'un usage dans l'entreprise.

Contrairement aux accords collectifs de travail, l'écrit n'est pas une condition de validité de l'usage.

a) Généralité

Le caractère général de l'usage implique que l'avantage bénéficie à l'ensemble des salariés ou, tout au moins, à une catégorie déterminée d'entre eux.

La pratique doit donc s'appliquer à une collectivité de salariés et non à un seul ou même plusieurs pris individuellement. Ainsi, l'octroi discrétionnaire d'un avantage à des salariés pris individuellement, à titre de récompense, à des dates différentes et sans règles précises, ne saurait caractériser un usage dont d'autres salariés pourraient se prévaloir.

Il convient de noter toutefois que la Cour de cassation a jugé que l'octroi d'un avantage à un comité d'entreprise peut constituer un usage, bien qu'il en soit le seul bénéficiaire.

A titre d'exemple, ne présentent pas un caractère général suffisant pour établir l'existence d'un usage :

l'octroi à un seul membre du comité d'entreprise d'heures de délégation supplémentaires consacrées à la préparation des réunions;

le versement à trois salariés d'une retraite complémentaire ;

L'octroi d'avantages à certaines catégories de salariés ne doit pas non plus reposer sur une discrimination fautive. Ainsi, un usage subordonnant le paiement d'une prime à l'occupation d'un emploi à temps complet est contraire au principe énoncé à l'article L. 3123-11 du Code du travail relatif à l'égalité de rémunération entre salariés à temps plein et salariés à temps partiel.

La catégorie de salariés concernés par l'usage peut être néanmoins très minoritaire, sans que le caractère général de l'usage ne soit remis en cause.

Par ailleurs, tout en visant la collectivité du personnel, l'avantage tiré de l'usage peut être soumis à conditions, telles que conditions d'ancienneté ou d'éloignement géographique. Ainsi, caractérise un usage le versement régulier d'une indemnité d'un montant uniforme, pendant trois années, à tous les salariés amenés à effectuer des remplacements en fin de semaine.

Enfin, un usage peut être propre à un établissement et n'avoir de force obligatoire que dans cet établissement. Sauf à prouver qu'il existe une discrimination, les salariés des autres établissements ne peuvent se prévaloir de l'usage. Il en résulte que lorsqu'un salarié fait l'objet d'une mutation dans un autre établissement, il ne peut prétendre au maintien de l'usage appliqué dans son établissement d'origine, l'usage ne s'incorporant pas à son contrat de travail.

Remarques

A noter que les salariés mis à disposition sont exclus du bénéfice des usages existant dans l'entreprise d'accueil.

En effet, l'application de l'usage est subordonnée à l'existence d'un lien de subordination entre l'entreprise et ses salariés. Or, les salariés mis à disposition demeurent salariés de leur entreprise d'origine.

b) Constance

Pour devenir obligatoire pour l'employeur, il est nécessaire que l'avantage soit attribué un certain nombre de fois aux salariés d'une manière continue.

Un usage ne peut résulter d'un fait isolé.

Il n'existe pas pour autant de durée minimale durant laquelle l'avantage doit être octroyé ou de nombre minimum de mises en oeuvre de la pratique. Les tribunaux apprécient au cas par cas, en fonction des circonstances de fait. Ainsi, un avantage dont les salariés n'ont bénéficié qu'une seule fois ou même deux fois ne présente pas la constance caractérisant l'usage. Il en est de même pour une prime mensuelle versée pendant une période de trois mois. A l'inverse, il a été décidé que la désignation successive sur une période de quatre ans, dans une entreprise de moins de cinquante salariés, de deux délégués syndicaux par deux syndicats différents (au lieu d'un seul par syndicat) avait fait naître dans l'entreprise un usage constant, les deux délégués ainsi désignés ayant pu exercer leurs fonctions sans opposition de l'employeur.

Constituent, par exemple, un usage constant :

la revalorisation, pendant dix ans, des salaires réels alors que la convention collective applicable ne prévoyait qu'une revalorisation des salaires minima;

la désignation, pendant dix ans, de deux représentants syndicaux au lieu d'un seul au comité d'établissement et au comité central d'entreprise;

l'octroi, pendant six ans, d'un repos compensateur chaque fois qu'un jour férié a coïncidé avec le jour de repos normal dans la semaine;

l'attribution, depuis des années, d'un logement au siège de l'entreprise à des salariés travaillant sur des chantiers éloignés de ce siège ainsi que le versement par l'employeur d'indemnités de transport et de déplacement;

le versement, pendant trois ans, d'une prime de fin d'année à l'ensemble du personnel justifiant d'une ancienneté de six mois;

l'octroi pendant 12 ans de la cinquième semaine de congés payés pendant la dernière semaine de l'année ;

Si l'octroi occasionnel et/ou discrétionnaire d'un avantage n'est pas suffisant pour faire naître un usage, il en est de même lorsque l'employeur attribue régulièrement, même pendant plusieurs années, un avantage mais en émettant certaines réserves relevant de son pouvoir de direction et de gestion de l'entreprise.

En effet, l'attribution conditionnelle d'un avantage ne fait pas naître d'usage constant lorsque la réalisation ou l'appréciation de la condition dépend exclusivement de la volonté de l'employeur.

Ainsi, lorsqu'un employeur a, depuis plus de dix ans, accordé à ses salariés des jours de congés exceptionnels en précisant, à chaque fois, que ces congés pourraient être rapportés en tout ou en partie selon les nécessités du service, il en résulte qu'aucun usage constant n'a été instauré quant à l'octroi de congés exceptionnels ;

En revanche, la qualification que donne l'employeur à l'avantage ne s'oppose pas à l'existence d'un usage. Le simple fait qu'il fasse signer aux salariés, à l'occasion du versement d'une prime de treizième mois, des reçus indiquant qu'il s'agissait de versements exceptionnels n'engageant pas l'avenir ne remet pas en cause le caractère constant de cette prime.

c) Fixité

L'avantage doit présenter une certaine fixité tant dans les conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses modalités de calcul.

A cet effet, il est nécessaire que les conditions d'attribution et de détermination de l'avantage, très souvent pécuniaire, obéissent à des règles prédéfinies, constantes et reposant sur des critères suffisamment objectifs tant par rapport à l'employeur qu'au comportement personnel des salariés.

En d'autres termes, le bénéfice de l'avantage ainsi que sa valeur ne doivent pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de l'employeur ou de conditions subjectives ou aléatoires. Dès lors qu'il existe un mode de calcul déterminé, cela suffit à conférer à l'avantage un caractère de fixité. Mais il n'est pas nécessaire que la valeur nominale de l'avantage soit identique à l'occasion de chaque attribution si son mode de calcul reste fixe et précis.

Et même si une convention collective prévoit que le taux d'une prime est fixé en fonction d'éléments subjectifs, dès lors que l'employeur ne fait pas référence à ces éléments pendant plusieurs années, et qu'il attribue aux salariés le taux maximum prévu, ceux-ci sont en droit de revendiquer l'existence d'un usage.

Présentent un caractère de fixité suffisant :

une prime de fin d'année, qui n'est pas fonction de l'activité de la société, versée à l'ensemble des salariés justifiant d'une ancienneté de six mois, son montant n'ayant jamais diminué d'une année sur l'autre;

une prime dont le montant a été en progression constante pendant quinze ans et a toujours été calculée, sinon suivant des règles arithmétiques précises, du moins selon une évolution sensiblement parallèle à celle des salaires et du coût de la vie et non d'après les résultats de l'entreprise ou la situation de la trésorerie;

une prime calculée suivant des règles préétablies précises en fonction de critères d'absentéisme, assiduité et sanctions identiques pour tous les salariés, cette prime n'ayant aucun caractère discrétionnaire;

une prime variable dans son montant, mais ayant toujours suivi une courbe ascendante et ayant conservé une certaine proportionnalité avec le salaire versé;

une prime de treizième mois basée sur le salaire moyen par catégorie de personnel;

une augmentation régulière des salaires liée à l'évolution du taux des rentes d'accidents du travail ;

Même lorsque l'employeur refuse d'indiquer le mode de calcul d'une prime, les juges peuvent déduire le caractère de fixité du fait que cette prime a été, en valeur absolue, en progression constante durant plusieurs années et qu'elle était sans corrélation avec la variation des résultats financiers de l'entreprise.

En revanche, lorsque l'avantage est attribué et/ou déterminé discrétionnairement par l'employeur, soit en raison de l'absence de critères fixes et précis, soit parce que les conditions d'attribution sont subjectives ou aléatoires, il ressort de la jurisprudence que cet avantage ne présente pas un caractère de fixité suffisant pour établir l'existence d'un usage.

Par exemple, tel est le cas :

d'une prime dont l'employeur en fixait le montant à son seul gré d'une manière différente chaque année;

d'une prime soumise chaque année à la libre appréciation de l'employeur en fonction de l'absentéisme et du comportement du salarié ou encore de son mérite et de son comportement;

d'une prime dont le versement est décidé chaque année après un vote du conseil d'administration en fonction des résultats financiers de l'exercice, même si le montant de cette prime est indépendant de ces résultats;

d'une prime dont le montant était remis en cause chaque année en fonction des disponibilités de l'entreprise.

Application de l'usage

a) Force obligatoire de l'usage

Le contrat de travail ne peut faire obstacle à l'application d'un usage plus favorable. Ainsi, le contrat de travail d'un gardien d'immeuble ne peut exclure l'application de l'usage en vigueur dans le Rhône selon lequel la taxe d'habitation est payée intégralement par l'employeur.

Le sort de l'usage n'est pas nécessairement lié à celui du contrat de travail dans la mesure où certains usages peuvent continuer à recevoir application en dépit de la disparition de la relation contractuelle. Tel est le cas d'une pratique d'entreprise consistant à accorder aux salariés et anciens salariés d'un grand magasin une remise de 15 % sur leurs achats.

L'usage n'a pas de valeur contractuelle, en ce sens qu'il ne s'incorpore ni au contrat de travail ni aux accords collectifs de travail. Il demeure un engagement unilatéral informel de l'employeur dont les juges ne peuvent en subordonner l'application à l'établissement et à l'affichage d'une note de service.

L'employeur ne peut néanmoins, sauf à le dénoncer, modifier unilatéralement l'usage tant dans son principe que dans ses modalités d'application. Il ne lui serait ainsi pas possible de modifier, par exemple, la date de versement ou encore le mode de calcul d'une prime de treizième mois.

b) Exceptions à la force obligatoire de l'usage

L'usage ne peut pas reposer sur une pratique illicite dont les salariés pourraient se prévaloir et l'employeur peut, à tout moment et sans avoir à respecter les conditions de dénonciation d'un usage, revenir sur cette pratique.

Ainsi, l'indexation automatique des salaires, prohibée par la loi, ne saurait faire l'objet d'un usage obligeant l'employeur pour l'avenir. Un salarié ne peut donc invoquer une telle pratique, même suivie depuis plusieurs années, pour solliciter une majoration de son salaire.

De même, les usages pouvant s'instaurer dans l'entreprise en matière de fonctionnement des institutions représentatives du personnel ne peuvent avoir un caractère obligatoire que s'ils ne sont pas contraires à l'ordre public absolu ou aux règles fondamentales qui déterminent ce fonctionnement. Ainsi, ne peut avoir la valeur d'un usage et ne peut, en conséquence, avoir un caractère obligatoire, le fait de permettre à des délégués du personnel, membres du comité d'entreprise et délégués syndicaux, de répartir entre eux leur crédit d'heures de délégation, une telle pratique étant susceptible de porter atteinte au libre exercice du mandat des représentants du personnel.

ï»Il en résulte qu'un chef d'entreprise peut unilatéralement mettre fin par voie d'autorité à une pratique permettant la globalisation des heures de délégation entre titulaires et suppléants du comité d'entreprise sans commettre de délit d'entrave.


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