La motivation du licenciement malmenée dans les nouvelles ordonnances.

Publié par Corentin guy DELOBEL le 19/09/2017 - Dans le thème :

Emploi et vie professionnelle

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Les déjà fameuses ordonnances visant à reformer ou plutôt réécrire un certain nombre de dispositions du Code du travail font l’objet de critiques. Il ne s’agit donc pas ici de faire une nouvelle rubrique nécrologique du Code du travail, mais plutôt d’expliquer en quoi ces ordonnances modifient en l’occurrence les règles en matière de motivation du licenciement. 

Sans rédiger un pamphlet, il s’agit de remarquer que les nouveautés en matière de licenciement mettent en avant une certaine inégalité, et risquent de conduire à des licenciements pour des motifs évolutifs.

Choisissant volontairement un volet de réformes en particulier, il est opportun de souligner l’instauration par ces ordonnances d’une procédure préalable de demande de précisions auprès de l’employeur.

Cette création d’un byzantinisme certain et en apparence anodine n’est pourtant pas insignifiante dans ses conséquences prévisibles, et notamment selon que le salarié l’aura ou non mise en œuvre. La justification du licenciement en sera en effet bouleversée.

Il était jusqu’alors acquis, de jurisprudence constante, qu’en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante de la lettre de licenciement notifiée, ledit licenciement devenait nécessairement sans cause réelle et sérieuse, la lettre de licenciement fixant par ailleurs les limites du litige.

Cette règle garantissait ainsi une certaine sécurité au salarié et obligeait l’employeur à justifier et à préciser tous les griefs ayant conduit au licenciement. La jurisprudence consacrait ainsi une sorte d’obligation de "motivation résultat", sans laquelle l’employeur ne pouvait plus se prévaloir de quoi que ce soit en cas de contestation, notamment devant les juridictions prud’homales.

Allant dans un sens contraire, le projet de texte (Ordonnance n°3) institue une procédure préalable pré-contentieuse de demande de précisions qui est sensée limiter d’éventuels litiges.

Le nouvel article L. 1235-2 du Code du travail prévoit ainsi que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement peuvent, après notification de celle-ci, être précisés ou complétés, soit par l’employeur, soit à la demande du salarié. Le décret devra notamment expliciter la procédure applicable à cette demande de précisions et le délai.

A la simple lecture de ce texte, le travailliste ne peut rester que dubitatif car a priori le principe selon lequel la lettre fixe les limites du litige est maintenu, alors que cela semble assez incompatible.

Outre le problème quant à préciser comment le salarié est informé de cette nouvelle procédure préalable pré-contentieuse, sous quelles formes, dans quels délais, et quelles conséquences le non respect de cette information aura sur le licenciement, réfléchissons simplement sur les situations découlant de cette procédure, partant du postulat idéal que le salarié en a été dûment informé.

Commençons par l’hypothèse dans laquelle, le salarié n’a pas formulé de demande de précisions auprès de l’employeur suite à la notification de son licenciement. Il semble alors que si le salarié n’a pas demandé à son employeur des précisions sur les motifs de licenciement indiqués dans la lettre, seuls les motifs indiqués en l’état ou l’insuffisance de motivation pourraient donc aboutir à ce que soit reconnue l’absence de cause réelle et sérieuse en cas de contentieux. La lettre continuerait alors à fixer les limites du litige. Nous en resterions à l’appréciation classique bien connue et le salarié aurait intérêt à s’en contenter.

Mais on peut légitimement penser et craindre que la juridiction prud’homale, dans le cadre d’un contentieux, pourrait estimer qu’il n’y a pas d’insuffisance de motivation ou de griefs incomplets dès lors que le salarié n’aurait pas demandé de précisions, acceptant fatalement son sort dans le cadre d’une information qui pourrait à terme une obligation pré-contentieuse consacrée par la jurisprudence.

Prenons alors le cas qui paraît plus saillant dans lequel le salarié a formulé une demande de précisions et que l’employeur a complété la lettre. Cette hypothèse présente une certaine ambivalence, en cas de contentieux ultérieur.

On partirait artificiellement du principe que le licenciement n’était pas suffisamment motivé, et donc que l’employeur l’aurait précisé ou aurait même rajouté des griefs. L’intérêt pour le salarié existerait s’il y avait un renversement de la charge de la preuve puisque, en somme, plus l’employeur insère de griefs et plus dure sera la tâche du salarié qui aura eu le culot de demander des précisions à son employeur et qui devra démontrer la contestation de chaque grief initial, précisé et nouveau.

Car oui, au regard de ce texte, rien ne s’oppose à ce que l’employeur rajoute de nouveaux griefs dans le cadre de cette procédure pré-contentieuse. A partir de là, il est difficile d’affirmer que la lettre de licenciement fixe réellement les limites du litige à ce niveau, puisque l’employeur pourra anticiper assez aisément un éventuel litige et faire toute précision ou adjonction qu’il désire. Et si le dernier état des précisions fixait les limites du litige, l’interrogation reste car rien n’est prévu in fine quant à d’éventuelles précisions qui pourraient être apportées à l’occasion de la procédure prud’homale. En effet, si le texte permet à l’employeur de s’expliquer, pourquoi ne pourrait-il pas faire de telles précisions dans le cas d’un contentieux ?

Force est en tout cas d’insister sur le fait que la demande de précisions conduit à favoriser une cascade de motifs évolutifs qui seront débattus et appréciés par les juges du fond, donnant ainsi plus de souplesse à l’employeur qui n’aura plus la crainte de devoir impérativement tout motiver d’emblée, ce qui dans l’absolu restaure une certaine équité pour l’employeur de bonne foi, surtout pour les TPE. L’instrument pourra en revanche être une arme redoutable pour les entreprises plus importantes et les employeurs peu scrupuleux qui useront et abuseront de précisions pour convaincre la juridiction, le salarié ne pouvant prétendre rapporter la preuve contraire à une cascade de griefs.

En d’autres termes dans un cas comme dans l’autre, la motivation de la lettre de licenciement ne pourra plus être appréciée selon sa notification initiale, et le salarié rencontrera certainement beaucoup de difficultés en cas de contentieux.

Finalement, la situation idéale serait ainsi que le salarié formule une demande qui n’aboutit pas. Le salarié peut en effet formuler une demande de précisions qui n’aboutit pas, soit car l’employeur n’y fait pas droit, soit parce que les précisions demeurent insuffisantes. Dans ce cas, le juge pourrait retrouver ses habitudes et décider que cette absence de réponse le conduit à devoir apprécier la lettre en état ou estimer que l’absence de réponse rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais si une telle jurisprudence se développait, il suffirait que l’employeur réponde a minima, le juge appréciant alors en tout état de cause les nouveaux motifs ou les précisions, ce qui revient à favoriser en toute hypothèse la superposition de motifs, en contradiction totale avec le droit prétorien qui avait été instauré et dont les rouages étaient parfaitement huilés à ce niveau.

Il est ainsi regrettable que ne soit pas conservées les créations jurisprudentielles qui permettaient l’équilibre concernant la motivation du licenciement de tout cas.

L’avenir nous dira quelle orientation prendra cette nouvelle procédure, mais gageons que la sagesse des juges saura permettre de trouver un juste équilibre dans une matière qui renvoie inévitablement à la lutte des classes, et on peut malheureusement penser qu’une telle procédure ne limitera pas le contentieux, bien au contraire.