Réforme de la procédure pénale : Un projet vivement critiqué

Publié par Documentissime le 19/04/2010 | Lu 7420 fois | 0 réaction

Depuis de nombreuses années, les professionnels du droit attendent une réforme de la procédure pénale. Le 2 mars dernier, un projet de réforme a été présenté par la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie. Mais cette réforme divise. En effet, mardi 9 mars, avocats, juges et commissaires de police manifestaient contre ce projet de réforme de la procédure pénale.

Notre ministre de la justice a d’ores et déjà reçu les représentants des syndicats de policiers et des responsables de la gendarmerie.

Les organisations professionnelles redoutent que le nouveau Code de procédure pénale touche aux bases fondamentales de l’équilibre, entre les droits de l'enquête et ceux de la défense.

Le projet a pour sujet sensible de supprimer le juge d'instruction, sans toucher au statut du parquet. Beaucoup s’inquiètent des risques en matière d'indépendance de la justice.

Le texte a pour vocation de consacrer une véritable séparation entre l'autorité d'enquête et la fonction de contrôle de l'enquête. Il a également pour objectif de favoriser une réelle égalité entre tous les citoyens, qu'ils soient victimes ou parties, puisque les uns et les autres pourront désormais contester les actes ou l'inaction du parquet. Il souhaite encore garantir l'effectivité d'une procédure contradictoire pour l'ensemble des enquêtes, en assurant le respect des libertés individuelles et le caractère contradictoire de la procédure dès qu'un contentieux survient entre le parquet et les parties. Il cible une modernisation du régime de la garde à vue afin de mieux garantir les droits de la défense. Ce projet de texte limiterait l'usage de la garde à vue aux strictes nécessités de l'enquête. Le droit des personnes gardées à vue devrait être également renforcé. De plus, un régime d'audition libre est créé. Enfin, ce projet vise à garantir à l'enquête pénale toute son efficacité pour lutter contre la délinquance et assurer la sécurité des Français.

Telles sont les ambitions de ce fameux projet de réforme de la procédure pénale.

La suppression du juge d’instruction au profit d’un juge de l’enquête et des libertés

La réforme vise à instaurer une véritable séparation entre l'autorité d'enquête et la fonction de contrôle de l'enquête. Ce contrôle impartial serait dorénavant assuré par le "juge de l'enquête et des libertés". Ce juge du siège, qui présenterait les mêmes garanties d'indépendance que l'actuel juge d'instruction, remplacerait ce dernier.

En 2009, le président Nicolas Sarkozy l’avait annoncé en personne : « Il est temps que le juge d'instruction cède la place à un juge de l'instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus. »

En guise de brève présentation, le juge d’instruction traitait, jusqu’ici, les affaires les plus complexes, ce qui représente environ 4%.

Sa mission consiste à rassembler et examiner les preuves de l'infraction. Il prend toutes les mesures utiles à la manifestation de la vérité et instruit à charge et à décharge. Il dirige l'instruction et délivre des mandats de comparution, d'amener, de dépôt et d'arrêt ; il procède à l'audition des témoins et aux interrogatoires et confrontations et peut faire procéder à une enquête de personnalité des personnes mises en examen, ou à une enquête sociale.

Il peut également procéder à des perquisitions, des mises sous scellés d'objets ou de documents, ordonner le contrôle judiciaire, rejeter les demandes de mise en liberté, et également autoriser des écoutes téléphoniques.

Ce magistrat indépendant, va donc disparaître. Il appartiendra désormais au parquet de mener toutes les enquêtes. Pour résumer sommairement la pensée du ministère, le Procureur enquête et le juge tranche.

Le juge d’instruction va donc être remplacé par juge de l’enquête et des libertés (JEL). Sur ce point, Michèle Alliot-Marie a averti que le principe de la suppression du juge d'instruction, ainsi que le fait de confier l'ensemble des enquêtes au parquet ne sont pas négociables.

En effet, le juge d'instruction est perçu comme un magistrat manquant de neutralité et ne serait donc pas totalement juge ; en revanche, le parquet, par sa nature et sa structure, constituerait l'institution judiciaire la mieux adaptée à ce travail d'enquête.

Ce JEL, magistrat statutairement indépendant, sera chargé de contrôler les investigations du parquet. Il décidera de toutes les mesures coercitives ou intrusives et jouera un rôle d’arbitre. Il devra donc être interrogé pour toutes les mesures attentatoires aux libertés individuelles, et il pourra être sollicité tout au long de la procédure. Ses décisions pourront être contestées devant la « Chambre de l'enquête et des libertés ». Pour les affaires les plus complexes, il devra statuer en collégialité.

La suppression du juge d’instruction inquiète les détracteurs de cette réforme. En effet, ils craignent, selon leurs propres mots, « une reprise en main » de la justice au profit du pouvoir exécutif, du fait de la dépendance du parquet. Pour enfoncer le clou, la majeure partie des affaires politico-financière aurait vu le jour grâce à l’intervention d’un juge d’instruction.

Se voulant rassurante, Mme Alliot-Marie a promis qu' « aucune affaire ne sera étouffée ».

Par cette institution d’un cadre unique d’enquête, le but est de simplifier la phase préparatoire du procès pénal. La suppression de la procédure d'instruction permettrait de présenter une unification de la phase préparatoire en prodiguant au ministère public un rôle de directeur de l'enquête et d'autorité de poursuite. Le souhait exprimé est celui de l'instauration d'un juge capable de contrôler l'action du parquet et de défendre les intérêts des parties.

La réforme de la garde à vue

Sous couvert de renforcer le respect des droits et libertés individuelles dans la phase préparatoire du procès, il est prévu de réformer la garde à vue par une augmentation des droits du gardé à vue, un resserrement des conditions de son utilisation et la création d'une audition libre d'une durée maximale de 4 heures. Cette modification des conditions des gardes à vue est également dictée par leur nombre qui ne cesse d’augmenter.

Ainsi, ne pourront être placées en garde à vue que les personnes contre lesquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement.

La garde à vue devra se dérouler dans des conditions matérielles assurant le respect de la dignité de la personne.

La copie des procès-verbaux d'auditions de la personne gardée à vue qui auront déjà été réalisées devront être communiquée à l'avocat à sa demande.

La garde à vue devra donc répondre aux strictes nécessités de l'enquête et ne sera envisageable que pour des crimes ou délits passibles d'une peine d'emprisonnement.

En plus de l’entretien d’une demi-heure prévu en début de garde à vue avec l'avocat, le gardé pourra bénéficier d’une nouvelle rencontre avec son avocat, à la 12ème heure.

De plus, si la garde à vue est prolongée, l’avocat pourra assister aux auditions de son client.

Enfin, le projet prévoit une limitation de la force probante des déclarations sans avocat, puisque le gardé à vue ne pourra être condamné sur le seul fondement des déclarations, qu’il aura faites en l'absence de son avocat.

Sur ce sujet, la  police s'inquiète de la présence renforcée des avocats en garde à vue qui serait, à ses yeux, susceptible de ralentir les investigations. A l'inverse, les avocats regrettent que le projet soit insuffisant.

Enfin, la réforme envisage la possibilité d’une audition libre. Une personne pourra être entendue librement, s'il s'agit d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans. La présence de la personne dans les locaux de police judiciaire ne pourra alors excéder une durée de quatre heures à compter de son interpellation.

Cette audition libre n'ouvre pas l'accès aux droits attachés à la garde à vue ; c'est-à-dire l’assistance d'un avocat, le droit de faire prévenir un proche, le droit à l’intervention d’un médecin… Cependant, la personne entendue librement pourra faire le choix d’une garde à vue. Inversement, l’officier de police judiciaire pourra également décider, si les conditions de la garde à vue sont réunies, de placer la personne en garde à vue.

Une procédure de plus en plus contradictoire

La réforme prévoit que toutes les parties à un procès pénal pourront demander des actes d'investigation au magistrat. Ainsi, à plusieurs stades de l’enquête, elles pourront contester les décisions du parquet devant le juge de l’enquête et des libertés.

Ainsi, la victime et le mis en cause pourront bénéficier plus largement des droits du contradictoire.

Pour le mis en cause, deux régimes de droits distincts sont envisagés. Tout d’abord un régime restreint avec un accès limité au contradictoire serait mis en place lors d’enquêtes préliminaire ou de flagrance. Et un régime renforcé ouvrant droit à l’ensemble des droits du contradictoire qui serait obligatoirement applicable en matière criminelle ou en cas de réquisition de placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, ou à la demande de la partie mise en cause, soit sur décision du parquet, soit sur décision du juge de l’enquête.

La victime, elle, pourra devenir partie à une enquête et bénéficier des droits du contradictoire et de la défense ; il est également proposé de transposer dans la phase préparatoire le système de la plainte avec constitution de partie civile.

La garde des sceaux a précisé qu'une large concertation d’environ deux mois doit être menée sur cet avant-projet, soit jusqu’à fin avril. Le ministère resterait donc à l’écoute de l'ensemble des acteurs de la procédure pénale.

Les syndicats de magistrats, de fonctionnaires du ministère de la Justice, de policiers, les représentants de la gendarmerie, des avocats, les associations de victimes, les représentants institutionnels et les associations professionnelles de la justice pourront apporter leurs observations et propositions, éventuellement sous forme d'amendements écrits.

Un second texte, concernant notamment la phase de jugement, devrait être préparé puis soumis à la concertation dans les mêmes conditions.

Reste à suivre les péripéties légales de ce texte, sachant que nos députés, saisis de la question en 2011, devront débattre de l'indépendance de la justice à un an des élections.