Pouvoir d’instruction du bureau de conciliation et confidentialité des documents: les droits du salarié renforcés

Publié par Judith BOUHANA le 25/11/2011 - Dans le thème :

Procédures en Justice

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L'article R. 1454-14 du code du travail attribue au conseil des prud’hommes un pouvoir d’un grand intérêt : celui d'ordonner toute mesure d'instruction et toute mesure nécessaire à la conservation des preuves.

Un pouvoir limité en principe puisque la mesure d’instruction ne doit pas pallier la carence du demandeur (article 146 du code de procédure civile alinéa 2), principe à moduler néanmoins avec l’article L 1235-1 du code du travail précisant que le conseil de prud’hommes forme sa conviction au besoin après toute mesures d’instruction qu’il estime utiles… .

L’éventail des mesures pouvant être ordonnées par le bureau de conciliation est large : ordonner l’audition d’un témoin (article 143 du code de procédure civile), désigner des conseillers rapporteurs afin de mettre l’affaire en état d’être jugée, réunir les éléments d’information nécessaires au conseil de prud’hommes (déplacement dans l’entreprise, audition des salariés…article L 1454-1 al. 1 et R 1454-1 du code du travail), désigner un technicien avec une mission d’assistance (article 181 du code de procédure civile) ou d’expertise (article 215 du code de procédure civile),

bref la liste des pouvoirs et mesures inhérentes est longue… et de grand intérêt pour le praticien du droit du travail.

En outre une fois ordonnée la mesure d’instruction du bureau de conciliation n’est susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement au fond (article R 1454-16 alinéa 2 du code du travail).

L’arrêt dont s’agit est une illustration d’un des pouvoirs les plus connus du bureau de conciliation : celui d’ordonner la production de pièce à la demande le plus souvent du salarié dirigée à l’encontre de l’entreprise  (Cour de cassation Ch. Soc. Arrêt du 25 octobre 2011 n°10-24397). .

Suite à la cession par la société SFR service client d’une partie de son activité à la société Infomobile devenue société Téléperformance Grand Sud, des salariés ont sollicité des dommages-intérêts pour fraude aux dispositions relatives au transfert des contrats de travail.

Les salariés avaient alors demandé au bureau de conciliation d’ordonner la production par SFR service client et Infomobile du contrat de sous-traitance conclu entre elles incluant le transfert des salariés concernés.

Pour contester l’ordonnance du bureau de conciliation faisant droit à la demande des salariés, SFR Service client invoquait le risque de « divulgation de données confidentielles portant atteinte irréversible au secret des affaires et aux intérêts commerciaux de l'entreprise ».

Pour tenter d’obtenir un appel de l’ordonnance de conciliation, SFR Service client invoquait un excès de pouvoir du bureau de conciliation qui avait ordonné  « la communication directe entre les mains du salarié du contrat de sous-traitance » sans qu'aucune mesure garantissant la confidentialité du document n’ait été prise en contrepartie.

La Cour de cassation conclue sans ambiguïté  au rejet de ces demandes, renforçant les pouvoirs du bureau de conciliation et des salariés demandeurs :

« Mais attendu que l'appel immédiat à l'encontre de la décision du bureau de conciliation n'est ouvert qu'en cas d'excès de pouvoir ;

Et attendu qu'après avoir retenu à bon droit que le bureau de conciliation disposait, en application des paragraphes 3 et 4 de l'article R. 1454-14 du code du travail, du pouvoir d'ordonner toute mesure d'instruction et toute mesure nécessaire à la conservation des preuves,

la cour d'appel a relevé que cette formation avait apprécié, en fonction des éléments qui lui étaient soumis et des intérêts en présence, la nécessité d'ordonner la communication de documents pour se prononcer sur la fraude alléguée ; qu'elle en a exactement déduit que le bureau de conciliation n'avait pas commis d'excès de pouvoir ».

(Précédant :Cour de cassation Ch. Soc. 3 novembre 2010 n° 09-67493 :

« Et attendu que la cour d’appel qui a relevé que le bureau de conciliation disposait, en application des paragraphes 3 et 4 de l’article R. 1454-14 du code du travail, du pouvoir d’ordonner toute mesure d’instruction et toute mesure nécessaire à la conservation des preuves, a exactement décidé,

après avoir apprécié l’éventuelle atteinte au secret des affaires, que, saisi d’un litige relatif à la cession d’établissements de l’entreprise et à la reprise des contrats de travail des salariés qui y étaient affectés, celui-ci n’avait pas commis d’excès de pouvoir en ordonnant la communication aux parties du protocole d’accord ou de tout acte juridique relatif à cette opération, utile à la solution du litige et en rapport direct avec lui ; que le moyen n’est pas fondé ».