Abus de faiblesse : protection des plus vulnérables...

Publié par Claudia CANINI le 18/05/2012 - Dans le thème :

Procédures en Justice

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Le droit pénal (I) et le droit de la consommation (II) s’efforcent de lutter contre les abus commis à l’encontre des personnes vulnérables ainsi que dans les relations entre professionnels et consommateurs. Faisons le point sur ces délits et les condamnations qui en découlent.  

I - ABUS FRAUDULEUX DE L'ÉTAT D'IGNORANCE OU DE FAIBLESSE (C. PENAL, ART. 223-15-2)

1° Qui sont les victimes de ces comportements répréhensibles ?

La victime de l'abus est une personne en état d'ignorance ou de faiblesse : un mineur, une personne particulièrement vulnérable pour cause d'âge, de maladie, d'infirmité, de déficience physique ou psychique, de grossesse, ou encore une personne en état de sujétion psychologique ou physique, ce qui vise les victimes de mouvements sectaires.

2° Quels sont les auteurs visés par le code pénal ?

L'auteur de l'abus doit avoir intentionnellement tiré parti de la vulnérabilité de la victime, de telle manière que celle-ci s’est livrée, à son profit, à un acte ou une abstention qui se sont révélés pour elle gravement préjudiciables.

Exemples jurisprudentiels d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse

  • Le retrait ou la remise de sommes d’argent ou de chèques dans le cadre de liens étroits entretenus avec une ancienne aide à domicile (CA Toulouse, 28 juil. 2011, CA Caen 4 janv. 2010
  • La vente : abuse de son patient le médecin qui en obtient la signature de l'acte de vente d'un terrain pour un prix anormalement bas (Cass. crim., 12 janv. 2000).
  • Le bail : se rend coupable le prévenu qui donnait verbalement à bail à la victime un appartement de 50 m2 et a déménagé le mobilier de sa locataire pour un studio de 18 m2 pour la location duquel il lui a fait signer un bail d'un an non reconductible (Cass. crim., 17 janv. 2001).
  • La cession de droits : doit être condamnée la personne qui, après avoir acheté en viager une propriété, a obligé la venderesse à lui céder le droit d'usage et d'habitation qu'elle avait conservé (CA Caen, 24 mai 1996).
  • La procuration : la procuration obtenue sur le compte bancaire ou postal de la victime pour en retirer des fonds (CA Agen, 14 janv. 1999. – CA Paris, 16 juin 1999).
  • La prestation : est coupable le ramoneur qui oblige la victime à lui remettre 1 400€ en paiement d'une prétendue prestation (CA Nîmes, 14 avr. 1998).
  • Les libéralités quelles qu'elles soient, a priori très dangereuses pour le patrimoine des personnes vulnérables (CA Versailles, 9 mars 2005), les dispositions testamentaires (Cass. crim., 15 nov. 2005) dons, cadeaux au profit d’une employée de maison (CA Pau 12 nov. 2009) .

Ainsi, la chambre criminelle a aussi considéré que constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable, celui de disposer de ses biens par testament en faveur d'une personne l'ayant conduite à cette disposition (Cass. crim., 21 oct. 2008).

3° Peines encourues : 3 ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende

Ces peines sont susceptibles d'être aggravées (5 ans et 750 000 €) lorsque l'infraction a été commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement sectaire.

Les personnes morales sont également punissables de peines d'amende et des diverses peines privatives de droits que prévoit l'article 131-39 du Code pénal.

Enfin, des peines complémentaires peuvent être prononcées, telles que :

- l'interdiction des droits civiques, civils et de famille durant 5 ans (C. pén., art. 131-26) ;

– l'interdiction d'exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise pour 5 ans au plus (C. pén., art. 131-27) ;

– la fermeture, pour 5 ans au plus, des établissements ou de l'un ou plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits (C. pén., art. 131-33) ;

– l'interdiction, pour 5 ans au plus, d'émettre des chèques (C. pén., art. 131-6, 9°& suiv.) ;

– l'interdiction de séjour pour 5 ans au plus (C. pén., art. 131-31) ;

– l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée (C. pén., art. 131-10, 131-11 et 131-35).

4° Délai pour porter plainte : 3 ans

La prescription du délit ne commence à courir en principe qu'à compter du dernier acte commis.

Il en est ainsi dans le cas de prélèvements bancaires réalisés sur le compte de la victime au moyen de la même procuration (Cass. crim., 27 mai 2004) ou de prêts d'argent consentis à un médecin par ses patients en situation de dépendance (Cass. crim., 5 oct. 2004).

Toutefois, l'article 8 du Code proc. pénale (modifié par une loi du 14 mars 2011), prévoit désormais que le délai de prescription de ce délit "commis à l'encontre d'une personne vulnérable du fait de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse", court à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de poursuites pénales.

Cela signifie que tant que la victime n’est pas en capacité de porter plainte auprès des services de police, de gendarmerie ou du procureur de la République, le point de départ de la prescription de 3 ans n’a pas commencé à courir.

Plus récemment, la loi a également renforcé la protection des consommateurs en proie à des pratiques commerciales agressives et abusives de plus en plus fréquentes et diversifiées.

II – ABUS DE FAIBLESSE (C. consom. art. L122-8 à L122-11)

1° Qui sont les victimes de ces comportements répréhensibles ?

Sont concernées les personnes en situation de faiblesse. Il s'agit de personnes qui ne sont pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elles prennent, notamment en raison des ruses ou stratagèmes utilisés pour les convaincre.

L’infraction étant intentionnelle, cela suppose également que l’état de faiblesse ou d’ignorance du consommateur ne soit pas inconnu du professionnel.

Cette faiblesse peut notamment résulter d'un âge avancé, d'un mauvais état de santé, d'une mauvaise compréhension de la langue française...

L'abus de faiblesse peut aussi concerner des cas de vulnérabilité "momentanée" du consommateur, compte tenu des circonstances (par exemple dans une situation d'urgence, telle qu’une vente à l’occasion d’un dépannage).

2° Faits punissables : méthodes de vente et démarchage (C. conso. art. L.122-8)

Sont ainsi visées les opérations de démarchage à domicile, mais aussi :

- le démarchage bancaire,

- démarchage par téléphone ou par télécopie,

- l’invitation faite par un professionnel à un consommateur de se rendre à l’intérieur d’un magasin pour profiter de certains avantages ou retirer un cadeau…

- les ventes dans les foires ou les salons…

Exemples jurisprudentiels d’abus de faiblesse dans les relations entre professionnel et consommateur

  • se faire attribuer la qualité de légataire universel par une personne âgée atteinte d'une maladie, d'une déficience physique et psychique, état de vulnérabilité apprécié souverainement par les juges du fond (Cass. crim., 7 oct. 2009).
  • La peur éprouvée un couple anxieux, faible et suggestible, liée au manque de justification acceptable du vendeur (CA Paris, 11 janv. 2005).

Les tribunaux retiennent le plus souvent certains indices pour considérer que le jugement du consommateur a été altéré :

- l’inutilité de l’achat (par exemple l’achat de bouteilles de grand cru par une personne vivant seule et ne consommant pas de vin) ;

- la répétition d’achats identiques (par exemple, une personne âgée achetant en moins d’un an plusieurs appareils électroménagers identiques) ;

- la fréquence et la répétition des achats (par exemple, une personne âgée achetant une grande quantité de produits d’entretien) ;

- la précipitation, l’importance des dépenses au regard des ressources du consommateur…

3° Peines encourues : 5 ans d’emprisonnement et 9 000 euros d’amende

Des peines complémentaires comme l’interdiction d’exercer une profession commerciale sont également encourues.

Lorsque les conditions de l'abus de faiblesse ne sont pas réunies, la pratique litigieuse peut être appréhendée sous l'angle des pratiques commerciales agressives (Peines principales encourues : 2 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende).

Des actions civiles sont également envisageables : http://www.legavox.fr/blog/canini-formation/abus-faiblesse-lutter-contre-spoliation-5714.htm


Claudia CANINI

Avocat à la Cour

www.canini-avocat.com