Point sur la loi Hadopi 2

Publié par Documentissime le 03/08/2009 | Lu 7188 fois | 0 réaction

Sujette à d'innombrables controverses, la Loi « Création et Internet », communément nommée « Loi HADOPI » a finalement été adoptée, après la censure, par le Conseil Constitutionnel, des mesures ayant déchaîné les passions pendant près d'un an. C'est donc une version dépouillée de ses mesures phares, son volet sanction, qui est finalement promulguée le 12 juin 2009.

Néanmoins, les défenseurs de cette loi ne comptent pas en rester là et le projet de loi HADOPI 2, conçu pour répondre aux objections formulées par le Conseil constitutionnel au sujet de la loi « Création et Internet », est actuellement en discussion. Un projet de loi qui rend sa place au juge au travers de son pouvoir de sanction mais qui offre à l’HADOPI, Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet, l’initiative des poursuites.

Le projet de loi HADOPI

- La création de l’HADOPI
L’HADOPI, Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet était conçue, par le projet de loi « Création et Internet », comme l’instance chargée de récupérer, auprès des Fournisseurs d’Accès Internet (FAI), les adresses IP des internautes soupçonnés de piratage afin de leur envoyer des avertissements puis, au besoin, les sanctionner, selon les règles et la procédure de la riposte graduée. Le président de l’HADOPI devait être nommé par l’exécutif.

- La riposte graduée
Cette mesure phare du projet de loi « Création et Internet » visait à instaurer une procédure de sanction des personnes procédant au téléchargement illégal d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sur Internet.
Cette procédure était scindée en 3 étapes : grâce à l’adresse IP collectée auprès des FAI, l’HADOPI pouvait envoyer un premier mail à l’internaute lui enjoignant de protéger sa connexion (ainsi, la présomption d’innocence était respectée et on permettait à l’internaute innocent de sécuriser sa connexion au cas où elle était utilisée par une tierce personne malintentionnée).
Si, dans les 6 mois suivant cet e-mail d’avertissement, il était constaté un nouvel acte de piratage sur la connexion, l’HADOPI pouvait alors envoyer un nouvel avertissement, par lettre recommandée, cette fois.
Ceci constituait le dernier avertissement avant la suspension de la connexion.

Puis, si l’internaute commettait un nouvel acte de piratage ou de téléchargement illégal sur internet dans l’année suivant ce deuxième avertissement, l’HADOPI pouvait discrétionnairement décider de suspendre son abonnement Internet pendant une durée d’un mois à un an. L'internaute avait, à compter de cette décision de suspension, un mois pour former un recours devant un juge.

La suspension de la connexion à Internet ne dispensait pas l’internet de payer son abonnement au fournisseur d’accès Internet.

- « L’amendement Johnny »
Cet amendement prévoyait que la procédure de « riposte graduée » ne pouvait pas être mise en œuvre lorsque tous les ayant-droits résidaient dans un paradis fiscal. Néanmoins, cette exclusion avait peu de chance d’être un jour appliquée dans la mesure où, pour faire obstacle à la riposte graduée, tous les ayant-droits de l’œuvre téléchargée illégalement (auteurs, compositeurs, producteurs…) devaient être des évadés fiscaux.

- Le label HADOPI
Franck Riester, rapporteur UMP de la loi «  Création et Internet », avait tenté de rééquilibrer la loi en proposant un label HADOPI permettant de favoriser les sites de téléchargement légal en les distinguant des sites de téléchargement illégal.

-    La création du statut d’ « éditeur en ligne »
Cette mesure, en marge du téléchargement illégal d’œuvres, trouvait sa place dans la loi « Création et Internet » en ce qu’elle visait à mieux protéger les sociétés publiant du contenu unique et de qualité en leur permettant de bénéficier du régime fiscal des entreprises de presse et à l'exonération de la taxe professionnelle.

La loi HADOPI avait donc pour vocation de créer un système de répression hors tribunaux pour lutter contre le fléau du téléchargement illégal sur Internet et permettre ainsi à toute une industrie de se battre pour la sauvegarde de ses droits.

Adoptée le 12 mai 2009 par l’Assemblée Nationale puis le lendemain par le Sénat, la loi HADOPI n’a cependant pas résisté au couperet du Conseil Constitutionnel.
En effet, suite à de multiples controverses sur la constitutionnalité de la procédure de suspension de connexion Internet, le conseil Constitutionnel a tranché et a censuré la majeure partie du projet de loi, le vidant alors de sa substance.


La censure du Conseil constitutionnel

Le 10 juin 2009, le conseil Constitutionnel rend sa décision sur les 11 griefs d’inconstitutionnalité soulevés par les opposants à cette loi.
Le conseil constitutionnel estime que «  la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; (…) eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services" (point 12).

Concernant les arguments s’opposant au pouvoir de sanction donné à l’HADOPI, autorité administrative, le conseil constitutionnel tranche et censure :
 « Eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait (…) confier les pouvoirs (de restreindre ou d'empêcher l'accès à internet) à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins"(point 16), »
Il ajoute que « l'article L. 331-38 opère un renversement de la charge de la preuve et institue une présomption de culpabilité, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 9 de la Déclaration de 1789 » (point 18).

Le conseil Constitutionnel déclare donc contraire à la Constitution les pouvoirs conférés à l’HADOPI l’autorisant à couper l'accès à Internet sans l’intervention d'une décision judiciaire. Seul le juge peut en effet prononcer cette sanction.

Il valide cependant les deux premières étapes de la procédure, à savoir la collecte des informations personnelles de l’internaute auprès des FAI et la diffusion d’avertissements par l’HADOPI. Néanmoins, il soumet à l’autorisation de la part de la CNIL, la collecte et le traitement des données personnelles de l’internaute, conformément à la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.


La loi, dépourvue des articles censurés, est promulguée au journal officiel le 12 juin 2009.
La puissance de la loi HADOPI, amputée de sa mesure phare, se trouve alors sensiblement amoindrie.
Elle permet néanmoins, la création du statut « d’éditeur en ligne ». Un décret d’application devrait prochainement être adopté pour préciser « les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s’y attachent » (article 27 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009).
Le projet de décret communiqué par la direction des médias (dépendant de Matignon) à la plupart des médias en lignes éventuellement concernés, précise donc que, pour prétendre au régime protecteur de la presse, les sites Internet devront répondre aux critères suivants :
-    publier, «à titre principal, un contenu utilisant largement le mode écrit, faisant l’objet d’un renouvellement régulier et non pas seulement de mises à jour ponctuelles et partielles. Tout renouvellement doit être daté» ;
-    mettre à disposition du public «un contenu original, composé d’informations ayant fait l’objet, au sein du service de presse en ligne, d’un traitement à caractère journalistique, notamment dans la recherche, la vérification et la mise en forme de ces informations et présentant un lien avec l’actualité» ;
-    produire une information présentant «un caractère d’intérêt général. Ainsi, les informations diffusées ne doivent pas être susceptibles de choquer l’internaute par une représentation de la personne humaine portant atteinte à sa dignité ou à la décence ou par des contenus présentant la violence sous un jour favorable».

Le décret précise également que sont exclus de ce statut, les sites Internet constituant «un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle, artisanale, commerciale ou de prestation de service autre que la mise à disposition du public d’informations ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique. En particulier, ne peuvent être reconnus comme des services de presse en ligne les services de communication au public en ligne dont l’objet principal est la diffusion de messages publicitaires ou d’annonces, à l’exclusion des annonces judiciaires et légales, sous quelque forme que ce soit.»

Le statut d’éditeur de presse en ligne est soumis à une dernière condition. En effet, le décret dispose que « pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale, l’éditeur emploie, à titre régulier, au moins un journaliste professionnel». Demeure le doute quant au champ d’application de cette condition dans la mesure où on peut se demander si la presse à caractère non politique est concernée. En effet, le décret n'impose l’emploi d’un journaliste professionnel que pour l'information «politique», ce qui semble exclure cette condition pour tout autre type de presse sur internet.

Enfin, alors que ce statut permet de bénéficier d’un régime fiscal favorable, l’article 1er alinéa 6 du projet de décret renforce cependant la responsabilité de l’éditeur en ligne quant au contenu publié sur son site Web.
En effet, il précise que « l'éditeur du service dispose de la maîtrise éditoriale du contenu et notamment des messages postés diffusés sur les espaces de contribution personnelle ; en particulier, il met en œuvre les dispositifs appropriés pour éviter la mise en ligne de contenus illicites ». On voit alors se dessiner un régime de responsabilité accru par rapport au dispositif de la loi de confiance dans l’économie numérique, lequel imposait aux «hébergeurs» d'espaces participatifs de réagir promptement en cas de messages ou commentaires illicites.
Désormais, en imposant aux éditeurs en ligne de « mettre en œuvre les dispositifs appropriés pour éviter la mise en ligne de contenus illicites », le décret milite en faveur d’un contrôle a priori des messages et contenus mis en ligne via un espace participatif (forum…) sur le site de presse.


Le projet de Loi HADOPI 2

Pour répondre à la censure des principales dispositions par le Conseil constitutionnel, dont le volet sanction, un nouveau projet de loi contre le téléchargement illégal, dit HADOPI 2, doit être présenté au parlement cet été.
Ce projet de loi a été amendé et adopté par la commission des Affaires culturelles du Sénat, mercredi 1er juillet.

Le projet de loi amendé prévoit un nouveau dispositif de sanction de l’internaute qui commet des actes de téléchargement illégal. Le Conseil Constitutionnel ayant sanctionné l’exclusion du juge dans la procédure, le projet de loi HADOPI 2 le rétablit dans ses droits et réserve au juge le pouvoir de sanction.
Néanmoins, c’est par le biais de l’ordonnance pénale qu’il intervient. Dans le projet de loi HADOPI 2, la Haute autorité n’est plus chargée de prononcer la suspension de la connexion mais transmet les informations relatives à l’infraction et à son auteur au juge afin qu’il rende sa décision et sanctionne donc l’internaute.
Le système d’ordonnance pénale présenté dans le projet de loi permet au juge de prononcer la condamnation infligée au contrevenant, sans débat contradictoire.

Une vague de contestation est cependant déjà apparue concernant l’infraction de « négligence » créée par le projet de loi HADOPI 2.
En effet, en marge du délit de contrefaçon retenu à l’encontre de l’internaute qui télécharge illégalement des œuvres protégées, la loi HADOPI 2 prévoit le délit de « négligence caractérisée », qui sanctionne d’une contravention de 1 500 euros et d’un mois d’emprisonnement, l’abonné, mis en cause par son IP, qui a laissé des tiers télécharger des fichiers illicites au moyen de sa connexion internet.
Ainsi, l’internaute qui ne protège pas son accès personnel à l'internet via les Clés WEP et autres mots de passe de connexion obligatoire malgré les deux premiers avertissements de l’HADOPI, pourra être sanctionné sur le fondement de la « négligence caractérisée ».

Le projet de loi HADOPI 2 adoucit également les peines infligées au contrevenant par rapport au projet de loi HADOPI (un an d’emprisonnement et/ou de 300 000 euros d’amende) et précise que l'infraction sanctionnée d'une suspension de l'abonnement internet ne figurera pas au casier judiciaire de l'internaute pirate, ni l’infraction de négligence caractérisée.
De plus, la Haute autorité administrative (HADOPI) sera dans l’obligation d'effacer les données personnelles recueillies à la fin de la suspension de l'abonnement.

Autre mesure prévue par ce projet de loi : les risques encourus par les contrevenants seront inscrits sur les messages d'avertissement envoyés par l’HADOPI (par mail et par LRAR comme le prévoit la loi HADOPI 1) mais également sur les contrats des fournisseurs d'accès internet.

Parmi les amendements au texte de la loi HADOPI 2 par la commission des Affaires Culturelles du Sénat, figurent l’ajout une amende de 3 750 euros pour l'internaute qui se réabonnerait alors même qu'il a été privé de son abonnement à la suite d'une sanction pour piratage, ainsi qu’une peine de 5 000 euros d'amende pour le FAI qui accepterait de fournir un abonnement à ce même internaute, au lieu des 3 750 euros du projet de loi initial.


Enfin, ce projet de loi renforce les droits des ayant droits (maisons de disques, sociétés d'auteurs...) auprès des autorités judiciaires, dans la mesure où l’HADOPI devra les informer dès lors qu’elle saisira le juge pour lui transmettre le dossier d’un internaute pirate. Les ayant droits pourront alors se porter partie civile et obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de téléchargement illégal.


Le texte HADOPI 2, intitulé « projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet », a été examiné en séance les 8 et 9 juillet au Sénat.
Comme prévu, les élus de l'opposition (PS, Verts et communistes) se sont opposés à ce texte et c’est donc par 189 voix contre 142 que la loi HADOPI 2 a été adoptée par le Sénat.

Un seul amendement a été adopté en séance, prévoyant que toute personne suspectée ou poursuivie puisse être convoquée, ou entendue à sa demande, par l’Hadopi et être assistée d'un avocat.


Alors que la loi HADOPI 2 devait être soumise à l’Assemblée Nationale le 24 juillet, le vote solennel a été reporté à la rentrée. L’adoption de la loi HADOPI 2 se trouve donc à nouveau retardée, au grand bonheur de la Gauche.
En effet, la Gauche s’est fermement mobilisée contre cette seconde version de la loi HADOPI en déposant près de 900 amendements, démontrant ainsi son intention de faire barrage à une loi qu’elle considère inconstitutionnelle malgré les aménagements apportés suite à la décision du Conseil constitutionnel au sujet de la loi HADOPI 1.


Il faudra donc attendre septembre pour connaître l’issue réservée à cette loi, encore fortement controversée.