Maternité en France : le lancement controversé des maisons de naissances

Publié par Documentissime le 19/11/2010 | Lu 8505 fois | 2 réactions

Proposé par Roselyne Bachelot comme partie du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, les maisons de naissances proposaient aux femmes, dont la grossesse aurait au préalable été jugée sans risques, d'accoucher dans un environnement moins médicalisé qu'une maternité classique. Elles représenteraient également une solution à la surpopulation dans les services de maternités d'hôpitaux ou de cliniques. Ce projet d'expérimentation approuvé par l'Assemblée, malgré la réticence de grand nombre de députés, avait finalement été rejeté par le Sénat qui avait dès lors décidé de ne pas entériner le projet. Hier, la commission mixte paritaire (CMP) a remis le projet en discussion, ce qui relance la polémique, au bonheur de certains mais au grand désarroi d'autres…

Depuis les années 1960, la majorité des accouchements en France se fait en milieu hospitalier ou en clinique. Les premières maisons de naissance ont vu le jour en Europe en 1987 en Allemagne, avant d’être ouvertes ensuite en Suisse, en Autriche, en Suède et en Angleterre.

L'expérimentation des maisons de naissances proposée par Roselyne Bachelot dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 avait été approuvée à l'Assemblée nationale. Cependant, le Sénat l’avait purement et simplement rejeté.

Il convient toutefois de rappeler que lors de la tenue de l’Assemblée, les députés avaient dans un premier temps, sur proposition des élus PCF, supprimé l'expérimentation en commission. Ils estimaient par ailleurs que le statut, l'organisation, le financement et les conditions d'implantation des maisons de naissance étaient « flous ».

L’ex-ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, les avait alors convaincus de revenir sur leur décision en promettant que les maisons de naissances seraient « attenantes » à une maternité.

Elle avait ainsi souligné, lors du débat à l’Assemblée, que la démarche qu’elle proposait était « la meilleure façon de lutter contre les dérives sectaires » auxquelles sont exposées les femmes qui veulent sortir du circuit médical.

Certaines sont en effet tentées de faire appel à des « doulas », des accompagnatrices qui n'ont pas de formation professionnelle reconnue et dont l'action a été épinglée par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

Selon le ministère de la Santé, ce sont plus de 1 900 femmes qui accoucheraient, chaque année, chez elles en France.

Finalement, le projet a été remis en discussion, hier, par la commission mixte paritaire (CMP).

Les parlementaires réintroduisant l'amendement, l’Assemblée et le sénat devront donc se charger de trouver un compromis afin d’obtenir une version définitive du projet de budget 2011.

Des opinions divergentes

Le député UMP, Alain Milon, estime que « les résultats médiocres de la France en terme de mortalité maternelle et fœtale doivent nous interdire de baisser d’exigence en matière de sécurité des soins ».

De son côté, le sénateur PS, Raymonde Le Texier rappelle que la mortalité infantile a été « divisée par trois ». Il juge dès lors l’expérimentation « ni opportune ni urgente », dans la mesure où ce dernier ne souhaite nullement « revenir en arrière ».

A l’opposé, les députés UMP Bérangère Poletti et Jean-Pierre Door y voient un tout autre intérêt.

En effet, Bérangère Poletti, de profession sage-femme, soutient qu’il s’agit de favoriser un climat moins médicalisé. Elle souhaite ainsi donner une réponse aux femmes qui désirent accoucher « dans des conditions moins médicalisées, tout en leur garantissant un cadre véritablement sécurisé ».

Plébiscité par les sages-femmes, le projet suscite en revanche les foudres des obstétriciens

« C'est un souhait que l'on entend de plus en plus ces dernières années : certains parents veulent mettre leur enfant au monde dans un environnement moins médicalisé, de façon plus naturelle », affirme Marie-Cécile Moulinier, secrétaire générale du Conseil de l'ordre des sages-femmes.

Défendues par les sages-femmes, les maisons de naissance seront testées pendant sept ans à partir de septembre. Elles doivent permettre aux futures mères dont la grossesse est considérée « à bas risque » d'accoucher sous la seule supervision d'une sage-femme exerçant en libéral, dans une structure non-médicalisée, quoique située près d'une maternité.

« Elles viennent à la maison de naissance quand le travail commence. L'accouchement a lieu naturellement : on ne leur administre pas de péridurale, elles n'ont pas de perfusion et elles restent dans une chambre normale, pas un bloc. Elles peuvent repartir deux à trois heures après la naissance », explique avec détails Marie-Cécile Moulinier.

Ce modèle s'inspire de structures existant dans plusieurs pays Européens.

La mesure est fortement critiquée par les gynécologues-obstétriciens qui dénoncent une mesure allant « contre le progrès ».

Totalement « consterné », le docteur Jean Marty, secrétaire général du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France, explique que l'urgence n'est pas « à ce genre d'expérimentation mais plus à résoudre la crise que connait le secteur de l'obstétrique ».

« La mortalité maternelle évitable en cas d'hémorragie en France est le double de celle enregistrée au Royaume-Uni. La mortalité néo-natale est de nouveau en train d'augmenter. Des professionnels arrêtent d'exercer du fait des difficultés à se faire assurer », énumère-t-il.

Ce dernier démonte les arguments mis en avant par les défenseurs des maisons de naissance en rappelant clairement que « la grossesse à bas risque est quelque chose qu'on n'a jamais été capable de définir. On ne sait jamais comment ça va se terminer ». Le risque, selon lui, est que la mesure va obliger les obstétriciens, déjà malmenés, à prendre en charge « des catastrophes avancées ».

« Si la profession a entendu le rappel à l'ordre de la société, en attente d'une humanisation de l'accouchement », il estime qu’un procédé différent peut parfaitement être mis en place et notamment envisager de créer une salle dans les hôpitaux où seraient privilégiés les accouchements physiologiques.

Une méthode sans risque ?

« Les sages-femmes sont formées pour superviser un accouchement de A à Z et réanimer un bébé » insiste Marie-Cécile Moulinier.

Toutefois, pour assurer une meilleure sécurité à la patiente, il est prévu que ces structures soient adossées à une maternité, pour permettre éventuellement, en cas de complication, un transfert.

Un impact financier non négligeable

Le ministère de la Santé, de son côté, a parallèlement étudié l'impact financier de cette évolution.

Ainsi, le projet pourrait permettre d'économiser, à terme, plus de sept millions d'euros par an.

En 2004, Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, présentait un nouveau plan de périnatalité pour les années 2005-2007. Ce plan s’articulait en quatre points : « humanité, proximité, sécurité, qualité ».

Comme en 1998 et en 2001, il reprenait la mise en place d’une expérimentation de structures moins médicalisées pour répondre à la demande de certains couples d’un suivi plus globalisé de la grossesse et de la naissance : des « maisons de naissance » attenantes à des plateaux techniques.

La véritable question qui se pose est de savoir si aujourd’hui, douze ans après les premières annonces d’expérimentation, ce type de structures existera réellement un jour…