Les enregistrements téléphoniques réalisés à l'insu de l'une des parties ne sont pas recevables devant les juridictions civiles

Publié par Sana BENABDESLAM le 11/01/2011 | Lu 7614 fois | 0 réaction

Dans cette affaire, l'Autorité de la concurrence avait été saisie par un distributeur qui s'estimait victime de pratiques anticoncurrentielles sur le marché des produits d'électroniques grand public, de la part de différents fournisseurs et distributeurs. Condamnées en première instance, les sociétés mises en cause, faisant valoir que la preuve retenue avait été obtenue de façon déloyale, ont interjeté appel devant la Cour d'Appel de paris, qui a rejeté leur recours. N'ayant pas obtenu gain de cause jusqu'à présent, les défendeurs ont saisi la Cour de cassation.

L’Autoritéde la concurrence, par une décision du 5 décembre 2005, avait jugé que les sociétés mises en cause avaient commis une entente prohibée (relative à l’application de prix conseillés sur un certain nombre de ces produits) avec leurs distributeurs. Cette autorité avait donc, à titre de sanction pécuniaire, condamné, chaque société, au paiement d’une amende de l’ordre de 16 millions d’euros.

Elément intéressant : pour établir la matérialité des faits reprochés aux fournisseurs, l’Autorité de la concurrence s’était fondée sur des cassettes contenant des enregistrements de communications téléphoniques réalisés par le plaignant, mettant en cause les sociétés Philips France et Sony France, à l’insu des personnes enregistrées.

Contestant la décision rendue, ces sociétés ont fait valoir que les enregistrements avaient été obtenus de façon déloyale et ont ainsi saisi la Cour d’appel de Paris afin que les enregistrements en question soient écartés des preuves admises.

Estimant que les enregistrements de communications téléphoniques, produits par la partie plaignante et non par les enquêteurs ou le rapporteur, ne pouvaient être écartés au seul motif qu’ils avaient été obtenus de façon déloyale, la Cour d’appel avait alors jugé les cassettes recevables (puisque respectant le principe de contradiction).

C’est donc, par un arrêt du 19 juin 2007, que la Cour d’appel avait rejeté le recours des sociétés.

Cette décision avait cependant été cassée par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 juin 2008, au motif que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé par une partie à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».

L’affaire avait alors été renvoyée devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, qui, par un arrêt du 29 avril 2009, avait rendu une décision identique à son premier arrêt, rejetant encore une fois les recours des sociétés condamnées.

Saisie d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation, en séance plénière, vient de casser une fois encore l’arrêt de la cour d’appel, par un arrêt du 7 janvier 2011 (pourvois n° X. 09-14.316 et n° D. 09-14.667).

La plus haute formation de la Cour de cassation a jugé que « l’enregistrement d’une communication téléphonique constitue une procédé déloyal, puisque opéré à l’insu de l’auteur des propos ».

Dès lors, sa production à titre de preuve n’est pas recevable, tant devant les juridictions civiles que devant l'Autorité de la concurrence, qui ne pouvaient donc fonder leur décision sur de tels enregistrements.

Une jurisprudence constante…

Pour rendre leur décision, les chambres civiles de la Cour de cassation se sont fondées sur l'article 9 du Code de procédure civile ainsi que sur les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ces derniers prohibant l'utilisation, en raison de leur caractère déloyal, d'enregistrements de conversations téléphoniques ou vidéos faits à l'insu de leurs auteurs, en raison de leur caractère déloyal, à titre de preuve.

En statuant de la sorte, de la Cour de cassation exprime son attachement au principe de la loyauté s’appliquant en tout domaine, y compris en droit de la concurrence.

Bien que les enjeux économiques ne doivent en aucun cas être ignorés du juge, ces premiers ne peuvent cependant « le détourner de son obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action », souligne le service de presse de la Cour.