Parentalité homosexuelle et filiation

Publié par Caroline ELKOUBY SALOMON le 10/02/2012 - Dans le thème :

Vie familiale

| Lu 9558 fois |
0 réaction

Un enfant peut-il légalement avoir deux mères ou deux pères ? La double filiation paternelle ou maternelle est-elle possible ?

En droit positif français, une telle filiation n'existe pas. Mais ailleurs ?

 Dans les pays qui ont accordé l'adoption aux couples homosexuels, la double filiation paternelle ou maternelle existe par l’effet de l'adoption. (C'est le cas aux Pays Bas, en Suède, en Islande, au Danemark et en Grande-Bretagne, notamment).

Cette double filiation paternelle ou maternelle pourrait également exister par l'effet de la procréation médicalement assistée qui serait accordée à des couples homosexuels ou par des conventions de mère porteuse dont l'une des parties serait un couple homosexuel.

C'est la loi qui créerait cette filiation de la même façon qu'elle crée aujourd’hui un lien de filiation entre le mari de l’épouse qui procède à une insémination artificielle avec tiers donneur et l’enfant à naître.

En France, plus de 30 000 enfants vivent au sein de foyers homoparentaux et n’ont pas la filiation qui correspond à la réalité de leur vécu et de leur vie familiale.

Par des artifices juridiques tels que la délégation partage de l'autorité parentale prévue à l’article 377-1 du Code civil, les juges vont permettre une protection de l'enfant en termes d'autorité parentale.

Qu'en est-il en cas de séparation des parents ? Le juge aura recours, selon le cas d'espèce, à l'article 371-4 alinéa 3 du Code civil pour permettre la continuité des liens entre l'enfant et le compagnon ou la compagne du parent biologique. Cet article permet de fixer « les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non », « si tel est l'intérêt de l'enfant ». Dans beaucoup d'espèces, toutes les conditions ne seront pas réunies et le lien ne sera pas forcément maintenu.

Quid également d'une éventuelle contribution à l'entretien et l'éducation de cet enfant ? Ici, la loi ne prévoit rien. Seul le versement spontané du parent « social » permettra au parent biologique d'élever correctement l'enfant.

Il est donc évident qu'il existe une faille juridique importante pour la protection de ces familles et de ces enfants.

La seule vraie protection à leur offrir est de faire coïncider la filiation de l'enfant avec la réalité du projet parental duquel l'enfant est né.

Prenons l'exemple d'un couple de femmes dont l'une s’est faite inséminer en Belgique, seule, puisque cela est possible et revient en France avec son enfant. Sa compagne devient l'autre parent, on l'appellera ici le parent « social », puisqu'il n'est, de fait, pas le parent biologique.

Que devient juridiquement, la mère « sociale » et quel lien juridique va-t-elle entretenir avec l’enfant ?Pourquoi la compagne de la mère biologique ne pourrait-elle pas reconnaître l'enfant de sa concubine dans le cadre d'une reconnaissance d'enfant faite à la mairie ? Qu'est-ce qui l'en empêche juridiquement dès lors que la seconde branche de la filiation de l’enfant est vacante. Pourquoi une seconde personne, fut-elle de même sexe que le premier parent, ne pourrait-elle pas se présenter et « reconnaître » l’enfant ?

Dans le cas d'un couple hétérosexuel, le père qui vient reconnaître l'enfant n'a pas à justifier qu’il est le père biologique. C'est de sa seule volonté que le lien de filiation est créé. Et si toutefois, une autre personne vient à contester cette filiation, elle peut le faire devant les tribunaux. Ce risque de contestation est d'ailleurs bien plus important dans le cadre d'un couple hétérosexuel qui enfante naturellement que dans celui d'un couple homosexuel qui agit par voie d'insémination avec tiers donneur. Dans ce dernier cas, la seconde branche de la filiation est vacante par l’effet de l’anonymat du tiers donneur contre lequel aucune action en recherche paternité n’est possible.

Rien dans le Code civil en son article 310-1 et 310- 3 ne vient préciser que l'enfant doit être reconnu par son père et/ou par sa mère. Il est reconnu par ses parents.

Dans notre cas d’espèce, la filiation de l’enfant pourrait également être établie par une possession d'état conformément à l'article 311-1 du Code civil

«La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle il dit appartenir».

Si l'on met de côté les considérations d'ordre moral et philosophique sur la division sexuée de la filiation, lesquelles ne sont, d'ailleurs, pas toujours pertinentes, et que l'on avance, au contraire, l'intérêt supérieur de l'enfant à connaître ses parents et être élevé (et nourris) par eux conformément à la Convention internationale des droits de l'enfant signée à New York le 20 novembre 1989, on peut raisonnablement accéder au droit à établir une double filiation maternelle ou paternelle.

Comme l'a écrit M. Philippe Malaurie, professeur de droit civil, «la filiation est une technique juridique dépendant d'une idéologie » et ce droit de la filiation est le miroir de la société et de ses valeurs au cours de l'histoire. Rappelons-nous qu'en France pendant très longtemps les enfants adultérins ne pouvaient pas établir leur filiation et qu'il a fallu attendre 1972 pour que celle-ci soit possible. Rappelons-nous également que les pays du Maghreb ne connaissent pas la filiation naturelle. Enfin, il ne faut pas oublier que les filiations qui reposent sur le seul projet parental et éducatif existent, ainsi en est-il de la filiation adoptive et par procréation médicalement assisté avec tiers donneur.

Le droit de la filiation évolue en fonction des évolutions de la société et l'on voit bien que la question de l'homoparentalité, du mariage homosexuel et du projet d'enfant dans des couples homosexuels fait poindre la question de l'évolution du droit de la filiation en ce sens.

Cette question sera très bientôt à l'ordre du jour en France puisque des couples homosexuels peuvent désormais se marier dans des pays limitrophes tels que l'Espagne ou les Pays-Bas et que ces couples peuvent voyager et s'installent durablement ou provisoirement en France et mener une vie familiale qu'il faudra bien gérer juridiquement. Qu'en sera-t-il de la présomption de paternité lorsqu'une femme mariée avec une autre femme accouchera ? Qu'en sera-t-il quand un juge aux affaires familiales sera saisi de l'exercice de l'autorité parentale relativement à un enfant adopté légalement par un couple homosexuel à l'étranger ?