Une nouvelle proposition de loi « visant à renforcer la protection des consommateurs en matière de vente à distance »

Publié par Documentissime le 18/04/2010 | Lu 7598 fois | 0 réaction

Suite à la liquidation de plusieurs sites marchands fin 2008, Luc Châtel, ancien secrétaire d'État chargé de l'Industrie et de la Consommation, avait mobilisé la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ainsi que la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) afin de réfléchir sur la mise en place d'une protection des consommateurs en cas de risque de procédure collective des cybermarchands.

En effet, face aux difficultés de nombreux consommateurs à obtenir la livraison de biens commandés sur Internet, Luc Châtel a engagé, début 2009, une réflexion nouvelle visant à lutter contre la pratique de certains cybermarchands, qui continuent à enregistrer et débiter des commandes de clients, tout en sachant qu’ils ne pourront pas les honorer, au vu de leur situation financière.

On se rappelle, à ce propos, de la malheureuse affaire de la CAMIF, qui, après avoir enregistré bon nombre de commandes d’internautes et encaissé le prix de ces commandes, était tombée en liquidation judiciaire et n’avait donc pu les honorer.
 
La DGCCRF et la FEVAD ont eu pour mission de proposer des solutions assurant une protection adéquate aux consommateurs effectuant des achats sur Internet : Comment neutraliser ces comportements et protéger les consommateurs contre les défaillances des acteurs du e-commerce, en préservant le principe de la liberté du commerce ?
 
Parallèlement à cette réflexion et à la remise du rapport « Protection des consommateurs face au risque de procédure collective des entreprises de vente à distance » à Luc Châtel le 3 mars 2009, deux propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée Nationale le 18 décembre 2008.
 
 
 
LA PROPOSITION DE LOI « VISANT À PROTEGER LES CLIENTS D’ENTREPRISES DE VENTE À DISTANCE »
 
Dans son article 1er, cette proposition de loi prévoyait l’obligation pour les cybermarchands « d’attendre l’expédition des marchandises commandées pour encaisser le paiement correspondant effectué par le client ». Ainsi, le client qui n’était pas livré, pour cause de procédure collective ouverte après la date de sa commande ou pour toute autre raison, se trouvait délivré du paiement de sa commande et ne subissait pas de préjudice.
La FEVAD, dans son rapport remis à Luc Châtel, faisait également état de cette solution « de débit à l’expédition de la commande » et précisait que de telles dispositions « seraient suffisamment protectrices du consommateur ».
 
 
LA PROPOSITION DE LOI « TENDANT À PROTEGER LES CONSOMMATEURS VICTIMES DE LA FAILLITE DES SOCIETES DE VENTE PAR CORRESPONDANCE »
 
Dans une toute autre logique, cette proposition de loi ne différait pas la date de paiement de la commande mais visait à allonger le délai légal pendant lequel le titulaire d’une carte de paiement ou de retrait aurait la possibilité de faire opposition au paiement, en cas de situation de redressement ou de liquidation judiciaires du vendeur. Cette proposition de loi envisageait donc une réforme du code monétaire et financier et permettait donc au client de récupérer le montant du paiement si la livraison devenait impossible du fait de la situation financière du vendeur.
 
 
LA RECOMMANDATION « COMMERCE ELECTRONIQUE ET PROCEDURE COLLECTIVE » DU FORUM DES DROITS DES DROITS SUR L’INTERNET
 
Sans avoir reçu d’instruction ni de mandat, le Forum des Droits sur l’internet s’est également saisi de cette problématique et a mis en place, dès mars 2009, un groupe de travail sur l’e-commerce et les procédures collectives. Fort des réflexions menées par ce groupe de mars à juin 2009, le Forum des Droits sur l’internet a adopté, le 15 juillet 2009, une recommandation « Commerce électronique et procédure collective », proposant un certain nombre de mesures proportionnées à la situation financière de l’entreprise de commerce électronique, et contribuant à une meilleure information du consommateur.
Cette recommandation proposait les mesures suivantes :
 

Les mesures pratiques pour une information proportionnée du consommateur
 

  • Concernant les sites référents en matière de droit de la consommation (DGCCRF, associations de consommateurs, Forum des droits sur l’internet, etc.) : mettre en avant une information générale sur les procédures collectives et sur les démarches à suivre par les consommateurs confrontés à une telle situation.
  • Concernant les sites spécialisés dans la publication d’informations relatives à la situation financière des entreprises BODACC, INFOGREFFE, etc.) : rendre plus lisibles et plus accessibles les informations sur les sociétés ; publier plus régulièrement les mises à jour.
  • Concernant les sites des organismes représentant les liquidateurs judiciaires : dresser une liste des cybermarchands en situation de liquidation renvoyant vers la fiche détaillée de l’entreprise sur le site du BODACC.
  • Concernant les sites marchands :
-         spécifier dans les conditions générales de vente (CGV) ou les documents FAQ (Foires aux questions) si le marchand dispose d’un système de garantie en cas de procédure collective.
-          indiquer la situation de liquidation judiciaire sur les pages d’accueil et de validation de la commande. En cas de poursuite exceptionnelle de l’activité, le Forum préconise de coupler cette information à la mise en place d’un compte-séquestre.
-          créer un compte-séquestre pour les sociétés en situation de redressement judiciaire.
 
L’adaptation nécessaire des professionnels de la procédure collective aux spécificités de l’internet
Le Forum préconise la mise en place de nouvelles actions à mener par les professionnels de la procédure collective:
  • vérifier l’existence de tous les canaux de distribution du marchand : en ligne et hors ligne afin de pouvoir agir sur l’ensemble de ceux-ci.
  • désactiver le site marchand, ou au minimum, fermer la page de validation de la commande en cas de liquidation, sauf en cas de poursuite exceptionnelle de l’activité.
  • contacter par courrier électronique les clients du cybermarchand pour les prévenir de la mise en liquidation judiciaire.
  • obtenir les éléments techniques du site (code d’accès, code source…) permettant au liquidateur d’intervenir sur celui-ci, et notamment de poster les messages d’information dans toutes les langues de la clientèle visée.
  • prendre contact avec les plates-formes et les comparateurs de prix pour demander le déréférencement du cybermarchand en liquidation ; et indiquer la situation de liquidation du cybermarchand à côté de la notation en cas de poursuite de l’activité.
 
Dans le cadre d’une procédure collective, en vue de faciliter le traitement des demandes des internautes victimes, le Forum des droits sur l’internet recommandait une réflexion autour de la création d’une déclaration de créance en ligne avec la mise en place d’une signature électronique ou d’un certificat. Ceci permettrait ainsi aux consommateurs de faire connaître leur créance au professionnel chargé de la procédure judiciaire et d’avoir la possibilité d’en obtenir le remboursement lors de la liquidation judiciaire.
 
 
LA PROPOSITION DE LOI « VISANT À RENFORCER LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS EN MATIERE DE VENTE À DISTANCE »
 
Une troisième proposition de loi a été déposée à l’Assemblée Nationale le 29 septembre 2009, en vue de mettre en place un dispositif de protection approprié des consommateurs face aux difficultés des sites de e-commerce.
 
Cette proposition de loi vise à compléter les articles L.141-1 et L.121-20-3 du code de la consommation par les mesures suivantes :
 
Article 1er :
La DGCCRF (Administration chargée de la consommation) disposerait de nouveaux pouvoirs à l’égard des cybermarchands. En effet, la proposition de loi confère à la DGCCRF un pouvoir d’investigation et de contrôle des sociétés de vente à distance, lui permettant de vérifier la bonne exécution des obligations contractuelles qui leur incombent suite à la passation d’une commande « et, notamment de celle concernant la livraison des commandes enregistrées ».
Par suite, la DGCCRF se verrait attribuer un pouvoir d’interdiction. En effet, si, à l’issue de ses investigations, la DGCCRF constate que le professionnel continue de proposer à la vente ses biens ou services bien qu’il est dans l’incapacité manifeste de respecter ses obligations contractuelles, générant ainsi ou susceptible de générer un préjudice financier pour un grand nombre de consommateurs, elle est en droit d’interdire, à ce professionnel, la prise de nouvelles commandes sur tout ou partie des produits et services proposés ou toute prise de paiement avant la livraison intégrale du produit ou l’exécution effective du service.
Cette interdiction devrait être prononcée par arrêté ministériel et après une procédure contradictoire, et ce pour une durée limitée ne pouvant excéder 30 jours, renouvelable une fois.
 
Cette mesure d’interdiction pourra faire l’objet d’un recours en référé devant le juge administratif, et être levée « si le professionnel apporte la preuve qu’il est à nouveau en mesure de respecter ses obligations contractuelles ». C’est donc une mesure de protection du consommateur et non une sanction du professionnel. Elle doit permettre au cybermarchand de réorganiser son activité, mais ne doit pas entraver une activité qui pourrait prospérer.
 
En cas d’inexécution par le professionnel de la mesure prescrite, une sanction administrative est prévue : une amende administrative d’un montant maximal de 30 000 euros, assortie d’une mesure d’exécution ordonnée sous astreinte par le juge.
 
A noter que cette mesure d’interdiction avait été préconisée par la FEVAD dans son rapport remis à Luc Châtel. En effet, la FEVAD suggérait un certain contrôle des encaissements de la part d’entreprises en difficultés auprès du public lorsqu’il apparaissait que celles-ci ne seraient manifestement pas en mesure de livrer le bien commandé.
 
Article 2 :
La proposition de loi attribue un pouvoir à la DGCCRF dans le cadre de la protection des consommateurs en matière de vente à distance : le pouvoir « d’alerter le président du tribunal de commerce en vue de la mise en œuvre, le cas échéant, des mesures prévues par l’article L. 611-2 du code de commerce», à savoir des difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.
Les investigations de la DGCCRF devraient donc permettre de « prévenir plutôt que de guérir », en contrôlant l’activité du cybermarchand au plus vite, avant que celui-ci ne dépose le bilan.
 
Article 3 :
La proposition de loi prévoit également la suppression de la possibilité pour le transporteur de se retourner contre le consommateur lorsque le vendeur ne remplit pas ses obligations à son égard. En effet, l’article L.121-20-3 du code de la consommation, dans sa rédaction actuelle, dispose que le transporteur du bien peut se retourner contre le client lorsque l’expéditeur ne lui a pas payé les frais de livraison. Or, dans le cas de la livraison d’un bien acheté sur Internet, les frais de livraison sont compris dans le prix débité par le vendeur et ont donc déjà été payés par le consommateur lorsque le bien lui est livré. L’action du transporteur vis-à-vis du client se révèle donc inéquitable et inappropriés aux contrats de vente conclus à distance.
Par conséquent, la proposition de loi prévoit donc la suppression de cette action du transporteur en précisant que : « L’action directe en paiement du voiturier prévue par l’article L. 132-8 du code de commerce n’est pas applicable à l’encontre du destinataire quand le transport de marchandises est consécutif à un contrat de vente à distance défini aux articles L. 121-16 et suivants. »
 
Bien qu’attribuant des pouvoirs étendus à la DGCCRF pour réguler les ventes sur internet, on regrettera toutefois que cette nouvelle proposition de loi ne précise rien au sujet de l’information du public quant à la situation financière des cybermarchands.
 
En amont de toute mesure d’interdiction édictée par l’autorité administrative, cette information aurait le mérite de prévenir l’internaute des difficultés, passagères ou non, que connaissent les professionnels auprès de qui ils passent commande et engagent des frais pour un bien ou d’un service dont ils ne disposeront peut être jamais…