Projet de loi « anti-burqa » : les débats commencent aujourd'hui

Publié par Clément STIEVET le 06/07/2010 | Lu 7368 fois | 0 réaction

Alors que le port du voile faisait déjà débat depuis plusieurs années en France, la verbalisation d'une conductrice musulmane portant le voile intégral a accéléré l'évolution législative sur le sujet. Le projet de loi contre le port du voile intégral, préparé par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie, a connu un chemin périlleux et difficile avant d'être débattu, à partir de ce mardi 6 juillet, devant l'assemblée nationale. Outrepassant toutes les réactions négatives vis-à-vis de son contenu, ce projet de loi devrait être soumis au vote de l'hémicycle le 13 juillet.

Ce projet de loi, avant d’arriver sur le bureau de l’assemblée, a été présenté le 19 mai 2010 en conseil des ministres après que le Parlement ait adopté une résolution le 11 mai 2010. Cette résolution condamnait « les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l'égalité entre les hommes et les femmes », notamment le port du voile intégral.

Le texte a fait l’objet d’un avis défavorable par les Conseillers d’Etat. Ce projet ne reposerait sur « aucun fondement juridique incontestable » et serait sujet à « de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles ».

Toutefois, le gouvernement n’est pas tenu de respecter dans ce cas l’avis du Conseil d’Etat et a outrepassé ces arguments à l’encontre du projet de loi.

Convaincu de la nécessité d’une telle législation, le gouvernement n’a jamais reculé face aux virulentes critiques de l’opposition et des organisations non gouvernementales. Aujourd’hui, le débat s’annonce moins houleux qu’il y a quelques mois puisque le Parti socialiste a admis l’idée d’une interdiction par voie législative après avoir voté pour la résolution parlementaire anti-niqab et burqa. Après l'Assemblée, le Sénat examinera le texte en septembre. Le gouvernement espère un vote conforme qui entraînerait l'adoption définitive du texte et une application dès 2011.

Le principe et ses exceptions

Le principe est très général : « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». On comprend par espace public : la voie publique, « les lieux ouverts au public » (commerces, transports, parcs, cafés...) et les lieux « affectés à un service public » (mairies, écoles, hôpitaux...).

Etant amenés à avoir le visage dissimulé dans de nombreuses situations, le législateur a donc tenté de prévoir un certain nombre d’exceptions. Au nombre de cinq, on compte parmi elles :

  • les tenues prescrites ou autorisées par des dispositions législatives ou réglementaires (port du casque en moto),
  • les tenues portées pour des « raisons de santé » (masque respiratoire) ou pour « motifs professionnels » (masque de soudure),
  • les tenues destinées aux « pratiques sportives » (escrime)
  • les tenues de « fêtes », « manifestations artistiques » et « manifestations traditionnelles » (notamment religieuses).

Les sanctions

Tout contrevenant risque une amende de 150 euros en cas de violation de cette loi, mais cette peine pourra être complétée ou remplacée par l’application d’un stage de citoyenneté réalisé en groupe. En revanche, les forces de l’ordre ne peuvent contraindre par la force une femme portant le niqab ou la burqa de retirer son voile. Elles ne peuvent que constater l’infraction et transmettre le procès verbal au parquet. En cas de refus de se soumettre au contrôle d’identité, le ou la contrevenant(e) peut être retenu quatre heures maximum sur place ou dans un local de police, pour procéder aux vérifications nécessaires, comme pour toute procédure de vérification d’identité.

Mise en application

L’interdiction et la verbalisation ne s’appliqueront qu’après un délai de six mois « de médiation et de pédagogie », à la suite de la promulgation de la loi. Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai, que les PV de constatation d’infraction pourront être dressés. L’interdiction devra donc être pleinement applicable au printemps 2011.

Le délit de dissimulation forcée du visage

La création d’une nouvelle infraction à savoir « un délit de dissimulation forcée du visage », visant toute personne obligeant une autre « par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou abus d'autorité » à porter le voile intégral. Ces personnes pourront être punies d’une amende de 30.000 euros et d’un an d’emprisonnement. Les peines seront doublées si la victime est mineure. Cette nouvelle infraction entrera en vigueur en même temps que la loi.

Un texte peut-être voté par le PS

Les députés PS ont admis avoir évolué sur la question de l’interdiction du voile intégral. Ils s’étaient pourtant opposés à une intervention législative sur un problème considéré comme le prolongement d'un débat « nauséabond » sur l'identité nationale. Le PS a finalement décidé d'« avoir une attitude responsable », a indiqué le patron des députés PS, Jean-Marc Aynault. Quelques socialistes devraient se prononcer pour, même si la majorité devrait cependant s’abstenir.

Le reste de l’opposition reste en revanche sur ses positions. Les Communistes et les Verts dénoncent une « opération de stigmatisation » des musulmans. L'ONG Amnesty International a demandé aux députés de « rejeter ce projet de loi » qui violerait « les droits à la liberté d'expression et de religion de ces femmes qui portent la burqa ou le niqab en public en tant qu'expression de leur identité ou de leurs convictions ».

L’épée de Damoclès du Conseil Constitutionnel

Outrepassant l’avis défavorable du Conseil d’Etat sur ce projet de loi, le gouvernement peut s’attendre à une saisine du Conseil constitutionnel par notamment 60 députés ou 60 sénateurs, à la suite de sa future adoption par le Parlement. Le Conseil constitutionnel se prononcera alors sur le respect, par la loi sur le port du voile intégral, de la liberté individuelle et de la liberté d'exprimer ses opinions.