Quand la curatelle renforcée est justifiée par la protection de... la santé

Publié par Claudia CANINI le 28/03/2015 - Dans le thème :

Procédures en Justice

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Une mesure de curatelle renforcée ne peut être maintenue par le juge qu'après avoir vérifié que le majeur concerné n'était pas « apte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale ».

Encourt  la cassation le jugement qui maintient une personne sous curatelle renforcée en se contentant d'énoncer qu'il ressort du rapport d'expertise médicale que des problèmes physiques liés à l'âge et un état dépressif démontrent un besoin d'être conseillé et contrôlé dans les actes de la vie civile (Cass. 1re civ., 29 févr. 2012, n° 10-28.822).

1. Que faut-il comprendre par « une utilisation normale » de ses revenus ?

La Cour d’appel de DOUAI a interprété ces dispositions[1]

MOTIFS DE LA DÉCISION

(…)

L'altération des facultés personnelles de Mme B. a été constatée par le docteur Y., médecin inscrit sur la liste du procureur de la République prévue par l'article 431 du Code civil, dans son certificat médical circonstancié ci-dessus rappelé, et la nécessité d'une mesure d'assistance et de contrôle, sous forme de curatelle renforcée a été préconisée par ce médecin.

Cette nécessité a été confirmée par l'audition des parties lors de l'audience devant la cour.

En effet, si Mme Véronique B. dispose de compétences qui lui permettent de faire seule ses démarches administratives, les choix budgétaires qu'elle a opérés seule au cours des derniers mois, au titre de l'exécution provisoire du jugement frappé d'appel, ont conduit à une dégradation de sa situation personnelle.

Ainsi, l'audition de sa curatrice comme les éléments transmis par le service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés mettent en évidence une augmentation importante des consommations de tabac et d'alcool ainsi que des comportements alimentaires inadaptés ayant généré une prise de poids importante, ces comportements entraînant pour Mme B. une sévère réduction de ses capacités d'autonomie et des risques accrus en cas de chute.

Au regard de ces éléments, la cour ne peut que considérer que Mme B. n'est pas apte, à ce jour, à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale, à savoir, en l'espèce, une utilisation ne mettant pas manifestement sa santé en danger.

Dans ces conditions, le maintien d'une mesure de curatelle renforcée demeure donc nécessaire.

2. Difficile arbitrage entre les libertés individuelles et l'intérêt de la personne protégée

Dans cette espèce, les magistrats considèrent que « l’utilisation normale des ressources » est celle qui ne « met pas en danger la santé de la personne protégée ».

Ils font donc un lien entre la protection des biens et la protection de la personne.

La question se pose alors du respect des droits et libertés fondamentales de la personne protégée.

3. Le curateur est-il autorisé à gérer la vie personnelle du majeur protégé ?

Ce n’est pas le vœu du législateur.

Quelle que soit la mesure de protection (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle, mandat de protection future), et si la décision de placement sous ce régime ne limite pas expressément la protection à celle des biens, l’article 459, alinéa 1er du code civil pose le principe d’autonomie de la personne, selon lequel le majeur protégé prend lui-même les décisions touchant à sa personne.

La loi pose ainsi l’obligation de laisser le majeur protégé prendre seul les décisions touchant à sa personne et, à tout le moins, impose le recueil a priori du consentement de la personne protégée par la personne en charge de la protection[2].

« Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne » (C. civ. art. 415).

Dès lors qu’une addiction comportementale délétère est constatée chez Mme B., ne pourrait-on privilégier une "information selon des modalités adaptées à son état "[3] et l’accès aux soins ?

Un contrôle à priori des dépenses par le curateur ne risque-t'il pas de générer d'autres effets néfastes sur le plan personnel (sentiment de "dépossession" et "d'injustice", d'être placé en"prison"[4] etc… ?).

La question reste entière et  illustre les difficultés auxquelles sont confrontés les organes de la curatelle, d’une part et la souffrance encore trop souvent vécue par les personnes sous régime de protection, d’autre part.

Claudia CANINI

Avocat à la Cour

www.canini-avocat.com

CNC MJPM*

*Certificat National de Compétence - Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs


[1] CA Douai, ch. prot. jur. majeurs et mineurs, 11 déc. 2014, n° 14/05287

[2] Circulaire de la DACS no CIV/01/09/C1 du 9 février 2009 – Page 25

[3] C. civil, art. 457-1

[4] Témoignages de clients