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Loi sur le reclassement à l'étranger : qui veut-on protéger ?

Publié par Documentissime le 16/05/2010 | Lu 7318 fois | 0 réaction

Le Sénat a adopté dans la nuit de mardi à mercredi une proposition de loi visant à limiter les propositions de reclassement à l'étranger. Ce texte fait suite aux nombreux conflits sur le sujet, notamment celui qui a touché Philips en février 2010 lorsque la Direction a proposé, à ses salariés français, un reclassement en Hongrie pour 450 euros par mois. Alors que la proposition de loi présente officiellement comme ambition de protéger les salariés des propositions de reclassement abusives, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer un réel tour de passe-passe réalisé au profit des employeurs.

Des propositions de reclassement indécentes

Samedi 13 février, les salariés de l’usine Philips de Dreux ont reçu une lettre les priant de ne plus revenir se présenter à leur travail, le site allant définitivement fermer ses portes. Stupeur des salariés et incompréhension. Pourquoi procéder de cette façon ?

Le lundi matin, une assemblée générale s’est donc déroulée à l’extérieur de l’entreprise, surveillée par des vigiles à l’entrée afin d’empêcher l’accès aux salariés. A l’issue de cette assemblée, les salariés ont décidé de saisir le tribunal de grande instance de Chartes. Les syndicats FO et CGT et les élus du personnel ont déposé une assignation en référé visant à faire reconnaître le lock-out du site par la direction et l'absence d'avis du Comité d'établissement et du Comité central d'entreprise.

Les salariés ont ensuite reçu un second courrier leur proposant un reclassement en Hongrie, pour des postes d'opérateurs payés 450 euros par mois. Les réactions ont été nombreuses suite à cette annonce.

En mars 2010, c’est l’usine Continental qui a été médiatisée pour les mêmes raisons. La société proposait en effet des postes rémunérés 137 euros par mois en Tunisie à ses salariés.

Ce phénomène n’est pas d’aujourd’hui. En 2009, l’entreprise de textile Carreman située à Castres avait également proposé des reclassements indécents à ses salariés. Il s’agissait de propositions de reclassement en Inde, à Bangalore, pour un salaire de 53,70 à 69,14 euros par mois.

A la suite de ces scandales, les politiques ont estimé nécessaire d’intervenir en instituant des mesures protégeant les salariés en situation de crise économique. Une initiative saluée dans un premier temps par les syndicats de salariés mais qui, suite à l’adoption par le sénat de la proposition de loi sur le reclassement à l’étranger, laisse place à la révolte.

 

Un encadrement des reclassements à l’étranger

La proposition de loi a été adoptée à 198 voix pour, 140 contre. La gauche a largement contesté ce texte qui constitue d’après les sénateurs, une voie vers le démantèlement de l'obligation de reclassement.

La proposition de loi a déjà reçu l’aval de l’Assemblée nationale en juin 2009. Elle émane du Nouveau Centre et prévoit que, sauf demande expresse du salarié, l'employeur n'est pas tenu de proposer des offres de reclassement à l'étranger si le salaire y afférent est inférieur de 10 % au salaire minimum interprofessionnel de croissance.

Actuellement, en application de l’article L 1233-4 du Code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.

Si, en tant qu'employeur, vous souhaitez mettre en oeuvre une procédure de licenciement économique, vous devez donc, au préalable, proposer aux salariés concernés une ou plusieurs propositions de reclassement. Pour cela, nous vous invitons à télécharger gratuitement le modèle de lettre de proposition de reclassementsur notre site Documentissime.

Le salarié a alors le choix d'accepter ou de refuser la proposition de reclassement. S'il l'accepte, son contrat de travail sera modifié afin d'être conforme à son nouveau poste. S'il le refuse, il pourra être licencié pour motif économique.

Si, en tant que salarié d'une entreprise en difficulté, vous souhaitez accepter ou refuser la proposition de reclassement qui vous a été adressée, nous vous invitons à télécharger gratuitement, sur notre site Documentissime, le modèle de lettre d'acceptation de la proposition de reclassement ou le modèle de lettre de refus de la proposition de reclassement

Dans l’hypothèse où l’entreprise qui envisage de procéder à des licenciements économiques fait partie d’un groupe, la jurisprudence conduit parfois à des situations incongrues, particulièrement dans le cas où le groupe concerné est amené à proposer un reclassement dans un pays en voie de développement où les conditions salariales sont ridiculement faibles au regard de la législation nationale (cf. SMIC notamment).

Dans une instruction du 23 janvier 2006 de la Direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP), il a été précisé qu'une proposition de reclassement à l'étranger « pour des salaires très inférieurs au SMIC ne pouvait être considérée comme sérieuse » et ne satisfaisait donc pas aux obligations résultant de l'article L 1233-4 du code du travail.

D’après le sénateur de l’Aube Philippe ADNOT, la proposition de loi a pour objet de mettre fin à l'insécurité juridique née des interprétations différentes de la jurisprudence et de l'instruction susvisée. Elle tend notamment à remédier aux imprécisions de la loi en matière de reclassement à l'étranger, particulièrement pour les salariés payés au SMIC qui sont les plus impactés, et à mettre chacun devant ses responsabilités.

La proposition envisage également l’envoi d’un questionnaire aux salariés des entreprises disposant d'implantations à l'étranger, préalablement aux propositions de reclassement.

Un délai de six jours ouvrables sera laissé aux salariés afin de réfléchir sur l’opportunité d’un reclassement à l’étranger. A l’issue de ce délai, ils devront se positionner sur un tel reclassement et s’ils acceptent, préciser les pays et salaires concernés.

 

Des critiques en série

Jacqueline Alquier, sénatrice du Tarn considère que la présente proposition de loi a pour but d’éviter aux employeur une condamnation financière lorsque les offres de reclassement dans les pays à bas coût de main-d’œuvre n'ont pas été présentées.

Les sénateurs socialistes ont également fait part de leur méfiance vis-à-vis de ce texte qui, selon eux, n'apporte rien de concret aux salariés.

Maître Philippe Brun, l’avocat des salariés de l’entreprise Olympia (anciennement Jaquemart) a qualifié de grande hypocrisie cette proposition de loi. Selon lui, elle n’aurait pour intérêt que de faciliter les suppressions d'emplois en soustrayant les employeurs à leur obligation de reclassement.

Enfin, Xavier Mathieu, le syndicaliste CGT de Continental, en tête de la fronde des salariés il y a quelques mois, a fait part de ses impressions aux journalistes de Canal +. Il estime que cette loi est surtout faite pour défendre les patrons. 

D’après lui, le MEDEF veut faire passer une telle loi depuis des années afin d’assouplir l’obligation de reclassement des employeurs. En général, quand une entreprise licencie, ce sont les salariés les mieux payés qui sont contraints de quitter leur poste. Or, si la loi vise des postes à une rémunération équivalente, cela va conduire à supprimer l’obligation de reclassement car aucun poste à un salaire équivalent ne pourra être proposé par l’employeur. Selon lui, « Cette loi est un scandale », dans la mesure où partant de l’objectif affiché de protéger les salariés, elle ne ferait en fait que permettre aux employeurs de se soustraire à leur obligation de reclassement : lorsqu’un reclassement à un salaire équivalent (ou inférieur de moins de 10%) n’est pas envisageable pour l’entreprise, cette nouvelle loi permettrait donc à l’employeur de ne pas proposer de reclassement au salarié, et donc de le licencier sans solution alternative. On serait donc bien loin de l’ambition d’origine de cette réforme…


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