Licenciement après annonce d'un cancer : motif discriminatoire pour la Cour d'appel de Versailles

Publié par Julie TROUPEL le 22/12/2010 | Lu 8839 fois | 0 réaction

Lorsque le même jour, deux employeurs médecins détectent chez leur salariée une maladie grave, qui est également leur patiente le temps d'une consultation, et qu'ils lui notifient un licenciement économique, c'est un signe qui ne trompe pas … En effet, la Cour d'appel de Versailles le mardi 14 décembre 2010 ne s'est pas laissée abusée en annulant le licenciement exercé par le cabinet médical employeur. Les employeurs, se sont défendus en invoquant le motif économique du licenciement.

Les faits

En 2005, une salariée, Corinne Heileman, est réceptionniste dans un cabinet médical de Poissy (Yvelines) depuis six ans.

Le 13 mai 2005, le jour des faits litigieux, cette dernière a suspecté un cas de cancer de par la présence d’une grosseur anormal sur son sein.

Son employeur, le Docteur Bilion étant médecin, elle lui a alors demandé de l’examiner, afin d’avoir un avis médical.

Ce jour là, son employeur lui a diagnostiqué une tumeur et lui annonce donc qu’elle est atteinte d’un cancer. « Corinne, tu as un cancer», lui avait-il assené sans précaution aucune.

Un peu plus tard dans la journée, un second médecin, son deuxième employeur, le docteur Baudienville, confirme malheureusement le diagnostic de son confrère.

Or, en début de soirée, après lui avoir annoncé son cancer dans la journée, les employeurs lui font part également de leur décision de la licencier pour des raisons économiques.

Ce 13 mai 2005, les employeurs ont alors remis à leur réceptionniste une convocation à un  entretien préalable au licenciement pour motif économique, accompagné d’un diagnostic médical dramatique …

La réceptionniste a assigné alors ses deux médecins employeurs devant le Conseil des prud’hommes de Poissy.

Un motif pour raisons économiques, motif de complaisance ?

Le conseil des prud’hommes de Poissy n’a pas reconnu la discrimination et a validé le licenciement. Pour le conseil de la salariée, cette décision était « scandaleuse ».

Pour les juges du fond, en revanche le licenciement économique n’est qu’un moyen de dissimuler un motif discriminatoire de licenciement.

En l’espèce la salariée des médecins, étant atteinte d’un cancer, n’était plus utile à ses employeurs.

La cour d'appel de Versailles, le 14 décembre 2010, a relevé que « la concomitance entre ces deux événements laisse supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé de la salariée ». La cour a ainsi ordonné la réintégration de la salariée en entachant de nullité le licenciement.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALD), qui a été saisie du dossier, partageait l’avis des juges : «d’autres personnes, plus jeunes, auraient pu être licenciées avant elle. D’autre part, le licenciement n’a pas permis au cabinet de faire des économies. Et de toute façon, la lettre de licenciement n’était pas motivée: motif économique, ça ne suffit pas. Elle a visiblement été écrite dans la précipitation.» Me Annie Moreau,

Selon l'argumentaire du cabinet médical, le licenciement économique était justifié du fait du : « départ d'une associée et la nécessité de réduire les coûts de fonctionnement du cabinet ».

Toutefois, pour des faits de discrimination liée à la santé au travail, ils leur appartenaient de prouver que le licenciement était réellement justifié par des raisons économiques et en aucun cas pour des considérations discriminatoires.

Déontologie et licenciement

Lorsque l’employeur est un médecin, il doit non seulement respecter les règles du droit du travail, mais également les règles déontologiques.

Les médecins aux agissements discriminatoires envers les malades, respectent-ils leurs principes déontologiques ?

Le conseil de la salariée, Maitre Charles Rominger, qui appartient également à une profession ordinale au même titre que les médecins, répond par l’affirmative à cette question et dénonce la violation de règles déontologiques, telles que le secret professionnel et le respect du patient : « C’est finalement tout le corps médical qui est pointé du doigt, à cause du comportement fautif de deux médecins», a indiqué Maitre Charles Rominger.

Réintégration de la salariée

Aujourd’hui Corinne Heileman avec l’arrêt rendu par la Cour d’appel, a décidé de réintégrer le cabinet médical et réclamer les cinq années de salaires qu’elle n’a pas perçue, et qu’elle est en droit de percevoir du fait de la nullité du licenciement.

Reste à espérer pour elle, que l’air au travail ne soit pas trop irrespirable…