Le film « Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb, hors la loi au regard du droit d'auteur ?

Publié par Julie TROUPEL le 13/10/2010 | Lu 7358 fois | 0 réaction

La présentation du film polémique de Rachid Bouchared, sur la lutte pour l'indépendance de l'Algérie, au dernier festival de Cannes, avait été accueillie sous une pluie de criailleries de pieds-noirs. Hier, c'était devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, que le film fût à l'affiche. Deux scénaristes, Farid Afiri et Philippe Roques, attaquent le film pour contrefaçon du fait de la ressemblance « frappante et incontestable » avec leur propre scénario. Ils entendent ainsi obtenir 750 000 euros chacun de dommages et intérêts et l'interdiction de sortie dans les salles du film.

Comparaison entre les deux scénarios  

Le scénario des deux auteurs ayant assigné Rachid Bouchareb devant les juridictions civiles, est intitulé « Sparring Partners ». Ce film brosse la vie de deux membres d'un club de boxe en Algérie. La guerre éclate et les deux amis fuient l’Algérie pour la France. Ils se retrouvent face à face sur un ring pour boxer.

Pour les scénaristes de « « Sparring Partners », il est évident que le film « hors-la-loi » est une imitation contrefactrice de leur film. D’autant qu’ils avaient envoyé une première version de leur scénario en mai 2006 à la société 3B Productions, dirigée par Rachid Bouchareb et Jean Bréhat, producteur de Hors-la-loi.

Quant aux auteurs de « Hors-la-loi », ils se défendent. Le conseil de la production du film évoque le ridicule de la situation : « On se moque du monde. Tout ça, c'est une tentative pour vous faire avaler des couleuvres ».

L’avocat du réalisateur Rachid Bouchareb ainsi que de son co-scénariste estime également qu’il n’y a pas de contrefaçon : « Ce sont des parallèles inventés ».

Devant les juges, les deux parties se livrent ainsi, comme dans leurs films respectifs, à un combat de boxe.

Les uns veulent prouver au Tribunal l’existence de ressemblances « extrêmement nombreuses », de « situations extrêmement proches, voire similaires dans certains cas », des « emprunts précis de scènes et de personnages », entre les deux scénarios.  Les autres, contestent énergiquement le plagiat : « La boxe ? Mais c'est le sport le plus représenté dans le cinéma français » plaide l’avocate de la production « hors-la-loi » pour signifier que l’élément en commun concernant la boxe entre les deux scénarios n’est pas suffisant pour prouver une contrefaçon.

Il faudra attendre l'issue du procès, pour savoir si les juges ont estimé l'oeuvre de Bouchareb constitutive d'un acte de contrefaçon. Le cas échéant, le film ne pourra plus être diffusé en salle ou exploité sans l'autorisation des scénaristes, qui ont été à l'initiative de l'action devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Le droit d’auteur des scénaristes

Un film est qualifié d’œuvre de collaboration, soit une œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs auteurs.

 Le législateur a établi une présomption de qualité d'auteur à certaines personnes physiques ayant créé l'œuvre (article L 113-7 du Code de propriété intellectuelle) :

  • Le scénariste,
  • L’auteur des dialogues
  • L’auteur des adaptions
  • L’auteur des compositions musicales
  • L’auteur de l’œuvre préexistante adaptée
  • Le réalisateur

Quant aux producteurs, ils ont également des droits sur le film, mais ce sont des droits, dits « droits voisins ».

Le film sera ainsi protégé et sous la coupe des droits d’auteur, pendant une durée de 70 ans à compter de la mort du dernier vivant de ses co-auteurs.

Les co-auteurs de film, jouissent de droits moraux et patrimoniaux, et bénéficient de garanties face aux producteurs, qui doivent par exemple formaliser dans un contrat écrit la cession par l’auteur de ses droits patrimoniaux au producteur.

En cas d’atteinte à ses droits, un scénariste dispose donc d’une action en contrefaçon, qu’il peut exercer soit devant les juridictions civiles ou administratives pour obtenir réparation, soit devant les juridictions répressives pour obtenir des sanctions pénales.

La violation des droits d’auteurs est punie d’une peine de 300 000 euros d’amende et de 3 ans d’emprisonnement (CPI, art. L. 335-2 s.).

Le code de la propriété intellectuelle entend par contrefaçon tous les actes d'utilisation non autorisée de l'œuvre. En cas de reprise partielle de cette dernière, elle s'apprécie en fonction des ressemblances entre les œuvres. La simple tentative n'est pas punissable.

En France, les juridictions sont particulièrement vigilantes quant à la protection des droits de l’auteur.

Ainsi, la Cour d’appel a rappelé, dans une décision en date du 29 juin 2001 que « Le réalisateur et scénariste d'un film, qui a cédé ses droits d'auteur, est fondé à se prévaloir de son droit moral, lequel est inaliénable, afin que soit respecté l'esprit de celle-ci. Il est ainsi recevable à demander en référé l'interdiction de toute utilisation de la version de la bande sonore du film qui ne serait pas conforme à la version originale et définitive exploitée dans les salles. ».

Une jurisprudence a également considérée qu’une contrefaçon était caractérisée lorsque la comparaison entre les personnages de deux œuvres mis en balance, permet de constater que le seconde reprend les caractéristiques du premier de telle sorte que l'impression d'ensemble produite sur le public par ces deux personnages est la même. (Tribunal de commerce de Paris 3ème chambre civile, 20 février 2008)