Le delit d'escroquerie au jugement

Publié par Sabine HADDAD le 24/10/2010 | Lu 9418 fois | 1 réaction

Si l'action en justice est un droit, dont dispose tout justiciable, des limites sont posées à la fois dans l'abus de cette action, mais aussi par la notion de fraude. Ainsi, peuvent être sanctionnés - l'abus du droit "d'ester en Justice" fautif, par le biais d'une amende civile et des dommages et intérêts contre le demandeur - La duperie et la tromperie des juges provoquées par des manoeuvres. Il s'agira du délit pénal d'escroquerie au jugement, dont les contours ont été fixés par la jurisprudence. Dans l'escroquerie au jugement l'auteur trompera la religion du juge dans le but d'obtenir un titre qui portera nécessairement atteinte à la fortune de la personne condamnée. - Duper la religion d'un tribunal et tromper ses juges avec des manoeuvres déterminantes ne seront pas sans conséquences.

L’article 313-1 du Code pénal dispose :

« L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. L'escroquerie est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende. »

La peine et l'amende pourront être majorées dans certaines circonstances agravantes  visées par l'article L 313-2 du Code pénal (ex bande organisée...) , étant rappelé que la tentative est punie des même peines que l'action aboutie.

Le principe posé,il faut rappeler que: Si toute action en justice est un droit, des limites sont posés à la fois dans l’abus de l'action, mais aussi dans sa fraude. Ainsi:

- -  L’abus de droit "d’ester en Justice", fautif

peut  être sanctionné par une amende civile et des dommages et intérêt contre le demandeur; (Il s'agit ici d'une action judiciaire, intentée de mauvaise foi, sachant qu'elle est vouée à l'échec ou pour nuire à l'adversaire. De la même façon en cas de plainte avec constitution de partie civile, d'appel ou de pourvoi en cassation jugés dilatoires ou abusifs)

- -  La duperie et  la tromperie des juges provoquée par des manœuvres  déterminantes constitueront le délit pénal d’escroquerie au jugement.

Toute production d’une pièce fausse, destinée à obtenir une décision qui portera atteinte au patrimoine d’autrui, ou l’omission dans une déclaration pourront être prises en compte.

"L’escroquerie au jugement"  tient dans le fait de tromper la religion du juge dans le but d’obtenir un titre avec lequel le demandeur pourra porter atteinte à la fortune de la personne condamnée, de vouloir obtenir en fraude  des droits  d'autrui une décision de Justice

La Cour de cassation a précisé les contours de la notion d’élément matériel.

A partir du moment où une  action en justice n’est que l’exercice d’un droit, il  ne suffira pas pour que ce délit  soit constitué, que le plaideur formule des allégations mensongères, mêmes répétitives. Il faudra qu'il  les accompagne d’éléments extérieurs.

 I- La définition de l’élément matériel affinée par les Tribunaux

 A) rappel de principe: l’usage de manœuvres :

Les tribunaux considèrent que le jugement est un titre exécutoire qui crée  obligation ou décharge.

Pour la jurisprudence , le fait de tromper sciemment un juge pour en obtenir une décision favorable à ses prétentions, soit par la production de faux documents, soit à l’aide de faux témoignages

Ce principe a été posé il y a plus d’un siècle.

Crim 23 janvier 1919, (Bull. n° 21) « Le délit de tentative d’escroquerie au jugement est caractérisé par des manœuvres frauduleuses visant à tromper le juge dans l’exercice de sa fonction,.. »

Crim  8 novembre 1962, (Bull. crim, no 312 ).

Crim 7 janvier 1970 (Bull.crim. n°14 p.30) : Si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, sa mise en œuvre peut constituer une manœuvre frauduleuse caractérisant le délit d’escroquerie.

B) Les moyens utilisés

Crim 24 juin 1970 (Bull.crim. n° 213 p.516) : « On ne saurait voir une manœuvre frauduleuse, … dans la production, à l’appui d’une action en justice, d’une pièce dont le juge civil a précisément pour mission de déterminer le sens exact et la valeur probante »

Crim 26 mars 1998 (GP 1998 II Chr.crim. 121 ) « Constitue une tentative d’escroquerie le fait pour une partie de présenter sciemment en justice un document mensonger destiné à tromper la religion du juge et susceptible, si la machination n’est pas déjouée, de faire rendre une décision de nature à préjudicier aux intérêts de l’adversaire. »

voir aussi Crim. 14 mars 1972 (GP 1972 II 738)

Des déclarations mensongères, même répétitives, ne suffiront pas pour constituer le délit d’escroquerie lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’un fait extérieur ou d’un agissement quelconque destiné à y faire ajouter foi.

Les éléments extérieurs (manœuvres, fausse qualité, faux document, mise en scène…)devront être provoqués de mauvaise foi, par l’intervention et l'utilisation de l’appareil judiciaire dans l'obtention d'une  décision  en vue de la spoliation de l'adversaire.

Crim 20 avril 2005, n° de pourvoi: 04-84828

Crim 7 avril 1992 a condamné un époux qui, sans présenter de faux documents, avait produit des pièces qui donnaient une image inexacte de sa situation réelle …

Les circonstances de fait seront appréciées souverainement. Il faudra démontrer la fausseté des documents allégués par exemple.

N’oublions pas les dispositions de l’article 272 du code civil qui prévoit que « Dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, par le juge ou par les parties, ou à l'occasion d'une demande de révision, les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l'honneur l'exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie....  »

Une fausse attestation obligatoire aux débats, sera un élément à considérer, si elle a emporté ou faussé la conviction du juge.

Crim 22 février 1996, pourvoi n° 95-81.627. La déclaration d'un sinistre à une compagnie d'assurance, accompagnée d'un certificat de dépôt de plainte pour vol, destiné à donner force et crédit à la réalité de ce vol, caractérise le commencement d'exécution d'une tentative d'escroquerie.

II Elément moral et mise en œuvre de l’action

A) L'élément moral : L'intention frauduleuse

L’intention coupable, sans laquelle n’y a pas infraction, tient dans le fait que le l’une des parties,  en parfaite connaissance de cause, a commis les manœuvres frauduleuses dans le dessein de tromper les magistrats,laquelle aura parfaitement fonctionnée.C'est la mauvaise foi, la malhonnêteté, l'intention de nuire...

B) La mise en œuvre de l’action pénale

Une plainte devra être adressée par RAR au procureur de la république près le tribunal de grande instance compétent, ou déposée au commissariat pour escroquerie en demandant réparation du préjudice qui a été causé. la victime pourra se constituer partie civile jusqu'à l'audience pénale afin de formuler une demande de  dommages et intérêts, en réparation du préjudice financier et du préjudice moral causé.

La Cour de cassation considère que l'escroquerie au jugement sera consommée au jour où la décision obtenue frauduleusement est devenue exécutoire. C'est donc à cette date que doit être fixé le point de départ du délai de prescription de 3 ans, s'agissant d'un délit. Crim 30 juin 2004 (Bull. n° 178).

Parfois elle sera ajoutée à d'autres délits: faux et usage de faux document, et/ou faux témoignage.

Ainsi, entre les plaintes pour faux et usages de faux documents, faux témoignages, y compris par omission ou escroquerie au jugement, les risques d'amendes civiles liées aux abus judiciaires, les justiciables feront bien de respecter  des conseils de prudence, puisqu'au delà du risque, il y a la sanction...

Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.

Maître HADDAD  Sabine

Avocat au barreau de Paris