La CEDH condamne la France pour absence d'indépendance du parquet

Publié par Documentissime le 24/11/2010 | Lu 15138 fois | 2 réactions

La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour absence d'indépendance de son parquet, au sein duquel officie le procureur, à l'égard du pouvoir exécutif. La France n'en est pourtant pas à sa première condamnation. L'arrêt rendu hier pourrait vraisemblablement mettre à mal le projet actuel de réforme de la justice…

De nouveau, le statut du Procureur français est mis en cause par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Les juges de Strasbourg avaient en effet déjà condamné la France, en 2008, pour le même motif.

La CEDH, après des années de litige, a finalement donné raison à Maître France Moulin, avocate du barreau de Toulouse, première avocate mise en examen et incarcérée pour « révélation d'informations à une tierce personne susceptible d'être mise en examen ».

Un rappel des faits

Le 13 avril 2005, Me France Moulin est arrêtée à Orléans et placée en garde à vue pour violation présumée du secret de l'instruction dans une affaire de trafic de drogue et blanchiment d'argent.

Elle est ensuite directement conduite à Toulouse où son cabinet est perquisitionné.

A l'issue de sa garde à vue, son placement en maison d'arrêt est ordonné.

Contestant son placement en maison d’arrêt par le procureur adjoint du tribunal de Toulouse, l’avocate avait dès lors saisi la CEDH.

Elle s’était tournée vers les juges de Strasbourg estimant qu’à l’issue de sa garde à vue elle n'avait pas été « aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », comme le prévoit pourtant la Convention européenne des droits de l'Homme.

Et affirmait donc que le représentant du parquet de Toulouse ne représentait pas cette autorité.

« Le procureur ne remplissait pas les garanties d'indépendance »

C’est par un arrêt du 23 novembre 2010 que la CEHD a finalement donné raison à la requérante France Moulin.

À l’unanimité, les juges ont conclu que « le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministère public, ne remplissait pas les garanties d'indépendance pour être qualifié, au sens de cette disposition, de juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

Ils ont donc estimé que l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif, qui compte parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat au sens de l'article 5.3 de la Convention européenne des droits de l'homme, n’avait pas été respectée.

Les juges de Strasbourg ont tenu à souligner qu'il ne leur appartenait pas de prendre position dans le débat sur « le lien de dépendance effective entre le ministre de la Justice et le ministère public » en France.

La Cour a simplement rappelé que les membres du parquet « dépendent tous d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des Sceaux, ministre de la Justice qui est membre du gouvernement et donc du pouvoir exécutif ».

Ainsi, sans remettre en cause le statut des magistrats du parquet, la CEDH a estimé que « ce n'est pas à eux de contrôler la détention et de garantir les droits fondamentaux ».

En d’autres termes, le procureur français n’avait pas à prendre de décisions concernant les suites à donner à ladite garde à vue. N’étant pas indépendant du pouvoir exécutif, il n’avait pas, par conséquent, à exercer une fonction judiciaire.

La requérante s'est dès lors vu accorder 5 000 euros pour dommage moral.

La Chancellerie fait appel

« Nous ne partageons ni le raisonnement ni l'analyse de la Cour », a réagi, mardi dernier, le ministère de la Justice français. Ce dernier a également annoncé que la France allait faire appel de l’arrêt rendu devant une formation de deuxième instance de la Cour de Strasbourg.

La Chancellerie estime que le parquet s'est contenté d'exécuter, à son encontre, un mandat d'amener délivré par un juge d'instruction, magistrat indépendant.

Dans l’hypothèse où ce nouvel arrêt serait confirmé en appel, il pourrait porter le coup de grâce à la réforme lancée par Nicolas Sarkozy en 2009, aujourd'hui ajournée, qui prévoit de supprimer les juges d'instruction pour confier toutes les enquêtes pénales aux procureurs, sans modifier leur statut.

Une évolution des plus attendues…

La décision rendue consacre purement et simplement l'absence d'indépendance du parquet, tant à l'égard des pouvoirs publics que des parties.

Elle traduit donc une nécessité impérative d’évolution du statut des magistrats du parquet français !

C’est pourquoi, lors d’un communiqué, l'Union syndicale des magistrats (USM, syndicat majoritaire), a appelé le président de la République, Nicolas Sarkozy, à engager en urgence « une nouvelle réforme constitutionnelle permettant à la justice française de satisfaire aux standards européens d'une justice indépendante et impartiale ».

Un goût de déjà vu…

Ce n'est pas la première fois que la CEDH prend une telle position.

En effet, en 2008, alors que le débat sur la suppression du juge d'instruction faisait rage, les juges de Strasbourg avaient déjà condamné la France dans l’affaire Medvedyev (détention illégale d'un équipage soupçonné de trafic de drogue), pour manquement au principe d'indépendance du ministère public.

Cependant, deux ans plus tard, la Cour avait fait marche arrière. Elle a réaffirmé, en appel, le principe de l'indépendance du parquet au niveau européen. Mais, sans toutefois viser spécifiquement la France.

Un arrêt qui tombe à pic…

L'arrêt de la CEDH intervient en pleine polémique sur le rôle du parquet de Nanterre dans l'affaire Woerth-Bettencourt.

À la fin du mois d’octobre, le procureur Philippe Courroye s’est trouvé contraint d'abandonner les enquêtes qu'il conduisait dans ce dossier, au motif d’une éventuelle proximité avec le pouvoir.

Espérons pour la France qu’elle retienne la leçon. Et puis ne dit-on pas « qu’on apprend de ses erreurs » !