L'accord Franco-roumain sur les mineurs isolés est déclaré contraire à la Constitution

Publié par Documentissime le 08/11/2010 | Lu 7545 fois | 0 réaction

La loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement français et le gouvernement roumain relatif "à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs" a été censurée par le Conseil constitutionnel. Saisi le 13 octobre dernier par plus de soixante députés, le Conseil constitutionnel était donc amené dans ce cadre à vérifier la constitutionnalité de l'accord lui-même. Ce dernier a fait droit aux griefs des saisissants en censurant la loi, qu'il a considérée contraire à la Constitution. La loi déférée avait pour objet d'autoriser l'approbation d'un accord passé entre la France et la Roumanie, le 1er février 2007, sur la coopération pour protéger les mineurs roumains isolés présents sur le territoire français et leur raccompagnement dans leur pays. Elle concerne également la lutte contre les réseaux d'exploitation des mineurs.

C’est au cours de cette année que l’accord a été soumis au vote du Parlement, nécessaire à son entrée en application. Le texte visait à lutter contre "la traite des êtres humains" et à "résoudre les situations des mineurs roumains se trouvant en difficulté sur le territoire de la République française".

Vivement combattu par les associations de soutien aux étrangers, le texte avait été transmis le 13 octobre dernier, par plus de soixante parlementaires de l'opposition, pour examen au Conseil constitutionnel.

Un premier accord relatif à la coopération franco-roumaine signé en 2002 était entré en vigueur le 1er février 2003. Conclu pour une durée de trois ans, il a expiré en 2006.

Dès lors, un nouvel accord visant à prolonger le premier a été signé le 1er février 2007. Le projet de loi autorisant son approbation a été adopté sans modification par le Sénat le 6 mai 2010 puis par l’Assemblée nationale le 7 octobre 2010.

Le nouveau texte prévoit toutefois la suppression de l'obligation d'un accord du juge des enfants pour prononcer l'expulsion.

En effet, le nouvel accord institue une procédure dérogatoire de retour en Roumanie du mineur isolé. Il prévoit ainsi, en son article 4, que le parquet des mineurs français ou le juge des enfants, saisi de la situation d’un mineur roumain isolé, doit recueillir en France et en Roumanie les informations pertinentes sur sa situation puis informe l’autorité roumaine compétente qui, après avoir défini les modalités de prise en charge du mineur à son retour en Roumanie « peut solliciter par écrit son raccompagnement ».

Or, dans le cas où le parquet déciderait de ne pas saisir le juge des enfants, il peut la mettre à exécution, « dès réception de la demande roumaine de raccompagnement», s’il estime, « eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine », que toutes les garanties sont réunies « pour assurer la protection du mineur ».

L'association « Hors la rue » avait dès lors dénoncé ce dispositif, dans un communiqué publié fin mars : « des garanties cruciales ont été supprimées, en violation de notre droit national de protection de l'enfance, de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et de la Convention européenne des droits de l'homme ».

Selon un conseiller de la garde des sceaux, consulté par la rapporteure du projet de loi à l'Assemblée nationale, cinquante-cinq retours de mineurs ont eu lieu entre 2003 et 2005. « Force est de constater que le nombre de retours a très nettement diminué depuis que l'accord signé en 2002 n'est plus appliqué », regrettait la députée UMP Chantal Bourragué, qui évoque vingt-cinq expulsions entre 2006 et 2010.

En saisissant le Conseil constitutionnel, le Parti socialiste avait également estimé de son côté que la convention franco-roumaine instituait un régime d’exception pour les seuls mineurs en permettant de contourner le juge pour enfant pour éviter une procédure contradictoire.

C’est donc à l’encontre de cette procédure que se sont concentrés les griefs des requérants. Cette procédure portait selon eux atteinte à l’égalité devant la loi, aux droits de la défense ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par les dixièmes et onzièmes alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Et c’est par une décision n° 2010-614 DC du 4 novembre 2010 que le Conseil constitutionnel a statué et déclaré la loi sur la protection des mineurs roumains isolés anticonstitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel s’est donc opposé à la mesure de raccompagnement des mineurs en considérant que l’accord ne prévoyait aucun moyen de recours pour les mineurs expulsés contre la décision de raccompagnement lorsque celle-ci est prise par le seul parquet.

En effet, selon la loi, l’autorisation de raccompagner le mineur doit être donnée, sur demande des autorités roumaines, soit par le parquet des mineurs soit par le juge des enfants s’il est saisi.

Or, dans le texte censuré, dans l’hypothèse où la mesure de raccompagnement est prise par le parquet, aucune voie de recours ne permet de la contester. Dès lors, selon le Conseil constitutionnel, le droit du mineur ou de toute personne intéressée à exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est méconnu.

En conséquence, les Sages ont censuré la loi autorisant l'approbation de cet accord franco-roumain du 1er février 2007.

Suite à la décision du Conseil constitutionnel, le gouvernement français a indiqué son intention de compléter la procédure pour la mettre en conformité avec la Constitution et ainsi de se mettre en ordre en présentant au Parlement « dans les plus brefs délais » un projet d’accord révisé de la loi.

« C'est une très bonne nouvelle », se réjouit Olivier Peyroux, directeur adjoint de l'association Hors la rue. Ce dernier privilégie la mise en place de la procédure de droit commun qui permet de s'assurer des bonnes conditions du retour des mineurs isolés grâce notamment à la réalisation, par un juge des enfants français, d’une enquête menée dans leur pays d'origine.

Selon lui, avec un tel accord « les procédures d’expulsions risquaient de devenir automatiques » dans la mesure où le délai d'enquête maximum était réduit à 24 heures.

Cette censure va donc obliger le gouvernement à revoir sa copie s'il entend à nouveau faciliter l'expulsion des mineurs roumains isolés.