Internet sera-t-il bientôt soumis à la censure ?

Publié par Documentissime le 09/08/2010 | Lu 7299 fois | 0 réaction

Le Tribunal de grande instance de Paris a intimé l'ordre à certains fournisseurs d'accès à Internet (FAI) de bloquer l'accès à un site de paris en ligne non-autorisé. Saisi en référé par l'autorité de régulation des jeux en ligne, le tribunal a ouvert une brèche dans le contrôle et le filtrage d'Internet. Il appartient désormais clairement à tous les fournisseurs d'accès à Internet de mettre en oeuvre ou faire mettre en oeuvre, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés sur ce territoire, au contenu de jeux en ligne illégaux. Certains commentateurs voient dans cette décision une porte ouverte à la censure de certains contenus sur Internet.

Une décision inédite

A l’origine de cette décision, la volonté de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) de faire application de l’article 61 de la loi n°2010-476 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

Par cet article, le président de l’ARJEL peut notamment saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à un service non-autorisé par l’ARJEL.

Dans une décision inédite rendue le 6 juillet 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a enjoint aux  « sociétés Numéricâble, Orange France, France Telecom, SFR, Free, Bouygues Telecom, Darty Telecom et Auchan Telecom, de mettre en œuvre ou faire mettre en œuvre, sans délai, toutes mesures propres à empêcher l’accès à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au contenu du service de communication en ligne accessible actuellement à l’adresse http://www.stan(...).com».

Le Tribunal valide en ces termes la loi au regard des conventions internationales et notamment du droit européen, et ouvre ainsi la voie à un recours massif à cette procédure à l’encontre d’autres sites illégaux.

La décision doit être exécutée sans délai. A ce jour, Orange n’a pas encore interdit l’accès au site litigieux. Les fournisseurs devront faire vite, car si la décision n’est pas exécutée dans un délai de deux mois, chacune des sociétés encoure une astreinte de 10 000 euros par jour pendant un mois.

Un risque de censure ?

Pour Jérémie Zimmermann, porte-parole et cofondateur de la Quadrature du net : « C'est la décision la plus violente, la plus totale, la plus tranchée qui pouvait être prise ».

Cette association de défense de la liberté du web dénonce une mesure de blocage inefficace et craint un précédent qui ouvrirait la voie à un filtrage du contenu de l'internet pouvant mettre en danger la liberté d'expression.

Les termes de l’ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris n’appellent cependant pas à une application totale et générale de la décision.

S’il est certain que les termes de l’ordonnance peuvent être étendus à tous les FAI et tous les sites Internet de jeux en ligne illégaux, les moyens juridiques manquent pour étendre davantage ces mesures de blocage.  

Mais, certains redoutent notamment qu’une décision similaire puisse être appliquée aux sites de téléchargement illégal.

Selon Jérémie Zimmermann, le blocage de certains sites Internet pourrait avoir des conséquences dramatiques. « Sur un même serveur qui va se retrouver bloqué, vous pourrez trouver par exemple à la fois un site de poker non homologué en France et 100 blogs de dissidents iraniens », a-t-il indiqué.

Dans le monde, certains pays ont pris en compte le principe de neutralité du net prenant ainsi le contrepied de la législation française.

Au Chili par exemple, courant juillet a été votée une loi consacrant la neutralité d’Internet et interdisant de ce fait qu’un fournisseur d’accès à Internet (FAI) n’interfère ou ne bloque les connexions de ses abonnés.

Dernièrement, aux Pays-Bas, le tribunal de district de La Haye a invalidé la décision prise par la Cour d’appel d’Amsterdam, visant à bloquer l’accès au site The Pirate Bay (ndlr : site de téléchargement) dans tout le pays car il n’était pas établi qu’une majorité d’utilisateurs de The Pirate Bay le faisaient à des fins illicites.