Modification du contrat de travail et résiliation judiciaire : ce qu'il faut comprendre des arrêts du 12 juin 2014

Publié par Documentissime le 17/06/2014 - Dans le thème :

Emploi et vie professionnelle

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Suite à la publication de deux arrêts par la Cour de cassation, modifiant son point de vue sur les conditions d'admission d'une prise d'acte ou d'une résiliation judiciaire, les gros titres ont fusé : "L'employeur peut désormais modifier votre salaire !", "le salarié ne peut plus s'auto-licencier", "Un salarié peut être contraint d'accepter une modification du contrat de travail", la presse à scandale n'a qu'à bien se tenir. Ces titres sont provocateurs, même si parfois le contenu de leur article peut s'avérer beaucoup plus mesuré et plus dans la réalité d'une jurisprudence qui n'a rien d'un revirement. Ils laissent tout de même le lecteur sur sa faim, angoissé d'une situation dont il ne saisit pas très bien les tenants, les aboutissants, la portée et les changements.

Cet article a donc pour but d'éclaircir un peu la situation, afin d'éviter que la foule ne gronde, que la guillotine soit à nouveau montée place de la Concorde, pour ceux qu'on ira chercher quai de l'Horloge.

Que nous disent ces arrêts ?

Les deux arrêts ont été rendus le 12 juin 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, ils s'inscrivent dans la lignée d'autres arrêts rendus le 26 mars 2014, qui ont annoncé un changement dans la vision de la Cour sur la nature des manquements suffisamment graves, permettant au salarié de prendre acte de la rupture du contrat ou d'en demander la résiliation judiciaire. Il faut relativiser le changement dans la vision, et parler plutôt de précisions, de clarification, d'ajustements.

Dans les deux arrêts, était en cause la faute de deux employeurs ayant modifié le mode de rémunération de salariés. Les salariés lésés, ont demandé la résiliation judiciaire de leur contrat de travail. Déboutés devant les Cours d'appel, ils se sont tournés vers la Cour de cassation, mettant en avant la modification unilatérale d'un élément substantiel du contrat de travail et justifiant la demande en résiliation judiciaire du contrat.

Mais la Cour de cassation ne l'entendra pas de la sorte. Dans un premier arrêt, les juges de la Haute Cour vont s'appuyer sur les constatations de la Cour d'appel, qui avait relevé que la modification apporté n'avait pas eu d'influence défavorable sur la rémunération du salarié, statuant alors sur la gravité du manquement, elle ne pouvait que conclure que la résiliation judiciaire n'était pas justifiée par un manquement empêchant la poursuite de la relation contractuelle. Dans un second arrêt, c'est toujours sur les constatations de la Cour d'appel, que la Cour de cassation va retenir cette fois, et c'est cela qui a fait grand bruit, que la modification ne représentant qu'une faible partie du salaire, elle n'empêchait pas pour autant la poursuite de la relation contractuelle.

Alors même que la modification unilatérale d'un élément substantiel du contrat de travail par l'employeur est normalement interdite, il paraissait normal qu'un pourvoi constatant une telle modification soit approuvé par les juges de la Cour et jugé dans un sens favorable au salarié. On retiendra que les juges préfèrent désormais distinguer la modification unilatérale du contrat par l'employeur, dont la faute n'est pas remise en cause, de la justification de la prise d'acte ou de la résiliation judicaire du contrat de travail, qui doit être motivée par l'impossibilité du maintien de la relation contractuelle de travail.

La Cour de cassation fait ici face aux divergences des Cours d'appel, pour fixer une ligne claire. Les juges du fond doivent désormais s'attacher à relever que la rupture doit découler d'une faute de l'employeur tellement grave que la poursuite du contrat du travail n'est plus possible (La semaine sociale n° 1635 " Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat", entretien avec Pierre Bailly Conseiller Doyen de la Chambre sociale de la Cour de cassation).

Conclusion

Une décision unificatrice en somme, qui présente une ligne plus claire, et qui renforce l'appréciation souveraine des juges du fond. Certes cette décision parait plus ferme, on rappellera que, de toute façon, une prise d'acte de la rupture ou une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail est toujours un pari risqué pour le salarié, selon qu'elle soit considérée comme une démission ou un licenciement, les conséquences ne seront pas les mêmes.

Cette nouvelle ligne ne laisse pas, pour autant, le champ libre à l'employeur de modifier à souhait les éléments substantiels du contrat de travail, ceux-ci sont tout autant protégés qu'avant. NON, votre employeur ne va pas vous annoncer demain que votre salaire a été divisé par deux en vous présentant votre nouveau contrat de travail. La Cour préfère qualifier ces modifications de faute (et des arrêts futurs montreront les conséquences de telles fautes), elle conditionne simplement la rupture à l'initiative du salarié pour faute de l'employeur à une faute désormais "plus grave".

On peut ranger l'échafaud...

Amaury CANTAIS