La modification de la durée du travail peut parfois devenir un élément essentiel du contrat de travail

Publié par Jean-pierre DA ROS le 04/04/2013 - Dans le thème :

Emploi et vie professionnelle

| Lu 6526 fois |
1 réaction

Modification de la durée du travail : le principe

La durée du travail s'entend, non pas des horaires pratiqués, mais du temps de travail accompli, qui fait l'objet d'une définition légale pour ce qui concerne le travail effectif (C. trav., art. L. 3121-1, ancien art. L. 212-4, al. 1er ;). Dans le principe, la durée du travail n'est pas un élément essentiel du contrat (Cass. soc., 12 janv. 1994, no 91-45.887 ; Cass. soc., 18 nov. 1997, no 95-41.372, JSL 3 mars 1998, no 9-13 ; Cass. soc., 19 nov. 1997, no 95-45.139, JSL 17 févr. 1998, no 8-10).

Elle le devient dans certains cas, par exemple lorsque :

la rémunération est affectée (Cass. soc., 31 mars 1999, no 97-41.819, qui vise « la durée contractuelle du travail, base de calcul de la rémunération » ; Cass. soc., 24 mars 2004, no 02-45.310, Bull. civ. V, no 98, qui décide qu'est une modification la réduction du salaire proportionnelle à la réduction de la durée légale du travail ; Cass. soc., 4 mai 2011, no 10-14.767, qui constate que la réduction de la durée du travail d'une employée de maison s'est accompagnée d'une baisse de la rémunération). Toutefois la seule modification de la structure de la rémunération par versement d'une indemnité différentielle destinée à compenser la perte de salaire consécutive à une réduction du temps de travail par voie d'accord collectif, sans changement de taux horaire, n'est pas une modification du contrat de travail (Cass. soc., 11 mai 2005, no 04-40.539 ; Cass. soc., 5 avr. 2006, no 04-45.537, Bull. civ. V, no 138) ;

la durée est contractualisée (temps partiel ou temps réduit, voire durée excédant la durée légale garantie ou encore contractualisation de la durée par mention au contrat : Cass. soc., 20 oct. 1998, no 96-40.614, JSL 17 nov. 1998, no 24-6). La durée du travail pour tout salarié peut désormais être fixée par une convention de forfait en heures sur la semaine ou le mois (C. trav., art. L. 3121-38) ;

l'employeur qui entend y toucher respecte la procédure de l'article L. 1222-6 du Code du travail : en demandant l'accord du salarié, il considère que la proposition a pour objet de modifier le contrat de travail (Cass. soc., 12 juill. 1999, no 97-41.738).

Aménagement de l'horaire de travail sans modification de la durée du travail

a) Un simple changement d'horaire n'est pas, en principe, une modification du contrat de travail…

L'employeur peut envisager un aménagement de l'horaire, sans que la durée du travail s'en trouve diminuée ou allongée.

La jurisprudence la plus courante écarte l'horaire de travail des éléments essentiels du contrat de travail (Cass. soc., 5 oct. 1978, no 77-40.755, Dr. ouvrier 1979, p. 172 ; Cass. soc., 29 mai 1979, no 78-40.560, Bull. civ. V, no 474 ; Cass. soc., 23 janv. 1985, no 83-41.054 et no 83-42.837, D. 1985, I.R., p. 204, obs. Lyon-Caen ; Cass. soc., 11 oct. 1989, no 85-45.174, Bull. civ. V, no 584, JCP 1989, IV, p. 395 ; Cass. soc., 12 janv. 1994, no 91-45.887 ; Cass. soc., 8 juill. 1998, no 96-42.015, Bull. civ. V, no 374). Le changement d'horaire de travail relève donc, en principe, du pouvoir de direction de l'employeur (Cass. soc., 13 déc. 2000, no 98-42.598 ; Cass. soc., 3 nov. 2011, no 10-14.702 PB).

Il en résulte qu'en principe, une nouvelle répartition du travail sur la journée n'est pas une modification du contrat (Cass. soc., 22 févr. 2000, no 97-44.339, Bull. civ. V, no 67 ; Cass. soc., 9 avr. 2002, no 99-45.155, à propos d'un horaire passé de 9 h - 18 h à 7 h - 16 h ; Cass. soc., 6 oct. 2004, no 02-43.488 ; Cass. soc., 3 nov. 2011 précité).

La répartition sur la semaine peut également être modifiée sans qu'il y ait lieu nécessairement à modification. Ainsi, en l'absence de clause contractuelle excluant le travail du samedi, l'employeur peut procéder à une nouvelle répartition impliquant le travail du samedi (Cass. soc., 27 juin 2001, no 99-42.462, Bull. civ. V, no 234 ; Cass. soc., 6 mai 2009, no 07-41.766 ; voir aussi : Cass. soc., 17 oct. 2000, no 98-42.624, Bull. civ. V, no 328, qui autorise la modification de l'horaire quotidien en l'absence de clause prévoyant cet horaire et le bénéfice de la pause de midi).

b) … sauf atteinte excessive au respect de la vie personnelle du salarié

Si le salarié qui refuse la nouvelle répartition peut, parfois, se voir reprocher une faute, éventuellement grave (Cass. soc., 2 févr. 1999, no 96-44.596, Dr. soc. 1999, p. 419, obs. A. Mazeaud), la faute grave est écartée lorsque la situation personnelle du salarié le justifie (Cass. soc., 17 oct. 2000, Bull. civ. V, no 327 et no 328 précités). Le refus du salarié est même légitime lorsque le changement d'horaires, même prévu au contrat, n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses (Cass. soc., 9 mai 2001, no 99-40.111, Bull. civ. V, no 157 ; il en est a fortiori ainsi lorsque le changement d'horaire procède d'une intention de nuire à un salarié divorcé ayant la garde de ses deux enfants : Cass. soc., 12 mars 2002, no 99-46.034). Cette solution s'inspire de l'article L. 3123-24 issu de la loi Aubry II (voir Ph. Waquet : Tableau de jurisprudence de la chambre sociale sur les horaires, Semaine sociale Lamy 12 mars 2001, no 1019, p. 6). Elle fait l'objet d'une position de principe de la Cour de cassation : « Sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l'employeur » (Cass. soc., 3 nov.2011, no 10-14.702 précité ; voir aussi : CA Limoges, 23 avr. 2002, Dr. soc. 2002, p. 1152, obs. Mouly).

L'employeur ne peut d'ailleurs pas faire un usage abusif ou discriminatoire de son pouvoir de direction (Cass. soc., 10 janv. 2001, no 98-46.226, Bull. civ. V, no 3 ; Cass. soc., 22 févr. 2000, no 97-44.339, solution implicite, Cass. soc., 13 déc. 2000, no 98-42.598 et no 98-42.664). La pratique abusive, non seulement dispense de retenir la faute grave en cas de refus des nouveaux horaires par le salarié (arrêts du 13 déc. 2000 précités), mais ne peut fonder un licenciement pour cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 22 févr. 2000, solution implicite ; en ce sens Ph. Waquet, chr. précitée).

c) Certains aménagements d'horaire entraînent une modification du contrat de travail

Il reste que tout aménagement de l'horaire n'est pas exclusif d'une modification du contrat.

Il appartient au juge de vérifier que l'intention des parties n'était pas d'ériger l'horaire convenu, lors de la conclusion du contrat, en élément essentiel (l'élément est alors contractualisé : Cass. soc., 21 mars 1985, no 82-43.833, Bull. civ. V, no 201 ; Cass. soc., 10 juill. 1986, no 85-41.491, Dr. soc. 1986, p. 852, note Teyssié ; Cass. soc., 9 mars 2005, no 03-41.715 ; Cass. soc., 5 mai 2009, no 07-43.252). Cette intention peut d'ailleurs résulter d'une longue pratique : « Mais attendu que la cour d'appel a estimé qu'en l'espèce l'horaire de travail pratiqué depuis de nombreuses années, horaire qui avait été déterminant de l'engagement des salariées et tenait compte de leur situation personnelle, était pour elles un élément substantiel de leur contrat ; que cette appréciation de fait [qui ne critique pas la mesure d'interdiction de prendre les repas de midi dans l'atelier] est motivée et justifie la décision. » (Cass. soc., 30 nov. 1983, no 81-41.995, Cah. prud'h. 1984, p. 50 ; voir également Cass. soc., 23 janv. 2001, no 98-44.843, Bull. civ. V, no 19, pour un passage à cinq jours sur la semaine d'un travail réparti sur quatre jours dans le cadre d'un processus dont le caractère expérimental n'est pas établi).

Un arrêt a cependant admis que ne constituait pas une modification du contrat le retour à un horaire « normal » après onze ans d'horaire réduit (Cass. soc., 12 janv. 1994, no 91-45.887 mais il s'agit d'une question de durée du travail ici, et non seulement d'aménagement d'horaire).

A l'inverse, l'employeur ne peut se retrancher derrière une clause du contrat lui conférant le pouvoir de modifier la répartition des horaires de travail d'un salarié à temps partiel, pour échapper à la modification du contrat si celle-ci est caractérisée (Cass. soc., 7 juill. 1998, no 95-43.443, JSL 17 sept. 1998, no 20-5 ; Cass. soc., 21 nov. 2000, no 98-43.378 : modification d'un contrat à temps partiel ; Cass. soc., 5 juill. 2005, no 03-43.807 : réduction de la durée du travail d'une employée de maison entraînant une baisse de salaire).

Il a été jugé de même s'agissant d'un salarié à temps complet dont le contrat de travail contenait une clause de variabilité des horaires ; nonobstant la clause, l'employeur ne peut pas imposer au salarié la substitution d'un horaire de travail de 5 heures à 13 heures à un horaire de 16 heures à minuit (Cass. soc., 18 déc. 2001, no 98-46.160, Bull. civ. V, no 388, Semaine sociale Lamy 14 janv. 2002, no 1058, p. 13).