Condamnation de la garde à vue : la CEDH s'y met aussi !

Publié par Documentissime le 15/10/2010 | Lu 9959 fois | 1 réaction

Dans un arrêt Brusco c/ France, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France pour violation du droit à un procès équitable. Le requérant mettait en cause le déroulement sa garde à vue pendant laquelle il avait dû prêter serment, et n'avait eu accès à un avocat que 20 heures après le début de la mesure. L'obligation de prêter serment pour les personnes placées en garde à vue a été supprimée depuis. Mais cet arrêt signe la première condamnation directe de la procédure de garde à vue française. Selon les juges de Strasbourg, l'avocat doit être présent dès le début de la garde à vue.

Condamnation de la France

Dans son arrêt Brusco c/ France, la Cour européenne des droits de l’Homme a constaté la violation par la France de l’article 6 § 1 et 3 de la Conv. EDH (droit à un procès équitable) dans une affaire mettant en cause le déroulement de la garde à vue.

Le requérant estimait que l’obligation de prêter serment pour une personne placée en garde à vue portait atteinte à son droit au silence et à son droit de ne pas participer à sa propre incrimination.

« Il y a eu, en l'espèce, atteinte au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence ». La cour a rappelé que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence faisaient partie intégrante de la notion de procès équitable (§44).

Précisons qu’une loi de 2004 a supprimé l'obligation de prêter serment pour les personnes placées en garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire.

Par ailleurs, il n'avait « pu être assistée d’un avocat que 20 heures après le début de la garde à vue », « l’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer de son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention » ( §54). 

La Cour a souligné que la personne placée en garde à vue devait pouvoir être assistée d’un avocat dès le début de la mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et que cette mesure s’imposait d’autant plus que la personne n’avait pas été informée par les autorités de son droit de se taire (§45).

La Cour européenne condamne donc directement la France au sujet de sa garde à vue : l’assistance de l’avocat dès la première heure de la garde à vue est nécessaire et la personne gardée à vue doit être informée de tous ses droits dès le début de la procédure. Un arrêt bien dans l’air du temps à l’heure de la réforme de la procédure de garde à vue…

CEDH, 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France

Deux arrêts avaient déjà affirmé la nécessité de la présence d'un avocat lors de toute privation de liberté :  l'arrêt Salduz contre Turquie, du 27 novembre 2008, « le prévenu peut bénéficier de l'assistance d'un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police » ; et l'arrêt Dayanan contre Turquie, du 13 décembre 2009, qui estime que « l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. »

Contexte actuel

Le Conseil constitutionnel avait censuré cet été le régime de la garde à vue en France au regard des droits et libertés garantis au citoyen. Les « Sages » ont laissé au gouvernement jusqu'au 1er juillet 2011 pour mettre en place une nouvelle loi.

Le gouvernement suite à cette censure avait rédigé un projet de loi pour réformer la procédure de garde à vue, plus respectueux des droits de la défense. Le texte a été adopté mercredi 13 octobre en Conseil des ministres.

La chambre criminelle de la Cour de Cassation a été saisie de trois pourvois dans trois procédures distinctes, soulevant la question de la conformité de la garde à vue française à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).

Le parquet général de la Cour de cassation a recommandé de déclarer les dispositions régissant la présence de l'avocat en garde à vue non conformes aux règles européennes.

La Cour de cassation rendra sa décision le 19 octobre prochain.

Le Syndicat de la magistrature a demandé à Michèle Alliot-Marie, Ministre de la justice, de « tirer sans plus attendre les conséquences pratiques de cette condamnation qui vient grossir le casier judiciaire européen déjà bien chargé de la France ».