Changement d'actionnariat : la cour de cassation valide le droit du cadre de s'autolicencier

Publié par Documentissime le 04/02/2011 | Lu 10740 fois | 0 réaction

La Cour de cassation, par un jugement en date du 26 janvier 2010, a jugé qu'en cas de changement d'actionnaire, le départ volontaire d'un top manager peut s'apparenter à un licenciement…sous respect de certaines conditions. Un cadre pourrait donc s'auto-licencier », quitter volontairement l'entreprise en bénéficiant du régime du licenciement. Par cette décision, la cour a donc étendu la possibilité d'usage de la « clause de conscience » prévue au Code du travail. Clause qui, rappelons-le, bénéficie normalement aux journalistes, en cas de cession d'un journal. Une petite révolution contractuelle, qui représente un avantage considérable pour certains cadres dirigeants, sous réserve de respecter cependant certaines conditions.

La chambre sociale de la haute juridiction a reconnu, par un arrêt en date du 26 janvier, le droit du top manager, salarié d’une entreprise, de s’autolicencier. Possibilité exclusivement offerte en cas de changement d’actionnaire néanmoins.

Cette liberté donnée au top manager en place dans une entreprise de choisir de quitter la société lors du changement d’actionnaire, assortie de garanties financières, est cependant soumise à un certain nombre de conditions…

L’affaire

Salarié depuis 2003 en qualité de « chief performance officer » avec le titre « d’exécutive vice-président », un haut dirigeant décide de quitter son entreprise en 2005 en invoquant un changement d'actionnaires.

Pour justifier son départ, le salarié fait valoir une clause insérée dans son contrat de travail qui stipule « qu’un changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction ouvrait la possibilité de quitter l'entreprise, la rupture devant alors être imputée à l'employeur et donner lieu au versement à titre de dommages-intérêts d'une indemnité de rupture brute égale à 21 mois de sa rémunération fixe brute (...) augmentée du montant de sa rémunération variable brute au titre des 24 (derniers) mois ».

Le nouvel actionnaire contestant, de son côté, la légalité de ladite clause dans la mesure où plus d’1,1 millions d’euros était en jeu, l’affaire a été portée devant les tribunaux.

La Cour de cassation a rejeté les prétentions du nouveau propriétaire de la société et validé le droit, pour un cadre haut placé, de quitter volontairement son poste, en bénéficiant des avantages d’un licenciement.

En effet, la haute juridiction a fait une stricte application du « prince de faveur » applicable en droit du travail.

Ce principe prévoit qu’un contrat de travail peut toujours prévoir des clauses plus favorables au salarié que la loi et/ou la convention collective applicable.

En cas de différence entre le contrat de travail et la convention collective, c’est la clause la plus favorable au salarié qui s’applique.

Dès lors, le salarié peut légitimement bénéficier des dispositions qui lui apparaissent plus avantageuses, en l’occurrence, celles de son contrat de travail.

Bien que la Cour se soit contentée de valider un principe juridique existant, cette décision se révèle particulièrement importante…

En effet, les clauses de conscience n’étant pas exceptionnelles, il est souvent oublié qu’elles ne concernent pas uniquement les entreprises du CAC 40.

 « Cela concerne aussi des PME qui ont la particularité de fonctionner avec un groupe de décideurs très étroit et cohérent », explique Emmanuelle Barbara, avocate associée chez August & Debouzy.

Les conditions requises

Avant toute chose, il n’est pas sans rappeler que cette disposition doit être expressément prévue et stipulée dans le contrat de travail du cadre dirigeant concerné.

En prononçant sa décision, la Cour en a profité pour donner un mode d’emploi…Ainsi, l'arrêt rendu fixe deux règles.

La première exige que cette disposition doive être « justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise », ce qui circonscrit l'usage de la clause de conscience aux seuls cadres dirigeants, alors qu'elle s'applique, en principe, à tous les journalistes.

La seconde condition, relative à l'indemnité contractuelle de fin de contrat, prévoit que cette indemnité ne devra pas être « de nature à empêcher toute évolution de l'actionnariat ou tout changement de stratégie ou de direction » au regard de la capacité financière de la société.

Le départ du top management ne doit en effet pas priver la société de moyens financiers tels que l’évolution de l’activité et la stratégie de développement de la société en soient affectés.